Silence on tue

par Boris Enet |  publié le 04/11/2024

Les démocraties occidentales, empêtrées par des crises successives et minées de l’intérieur par leurs détracteurs, en oublient le combat pour la dignité, la lutte contre l’oppression religieuse et son cortège totalitaire.

Une étudiante iranienne, Ahou Daryaei, a enlevé ses vêtements devant l’université islamique Azad pour protester contre la police des mœurs, à Téhéran, le 3 novembre 2024 (dessin de Bendak).

L’indignation a toujours été à géométrie variable lorsqu’il s’agit de condamner et d’agir, mais jusqu’à un passé relativement récent, la France des Lumières et sa lutte multiséculaire pour s’affranchir des Églises, lui interdisait de se taire face à l’indicible. Elle se glisse pourtant désormais, dans une forme d’indifférence confortable en ne prenant pas la mesure de la répression qui s’abat sur les femmes afghanes et iraniennes.

En Afghanistan, la énième mesure barbare consistant à ne plus autoriser les femmes à parler entre elles n’a entraîné que de rares commentaires isolés sans aucune sanction supplémentaire ni de la part de la France, ni de l’Union Européenne, ni des Etats-Unis.

En Iran, après la mise à mort d’un ressortissant à la double nationalité allemande et iranienne, la république fédérale s’est retrouvée isolée pour s’en émouvoir. Et aujourd’hui, alors qu’une vidéo d’une jeune iranienne dénudée tourne en boucle sur les réseaux « sociaux » pour dénoncer la chape de plomb des mollahs et de leurs agents, plus d’un an après le soulèvement « Femme, Vie, liberté », c’est dans une indifférence générale que les geôles se remplissent avec leur cortège de viols, de tortures, de disparitions insoutenables.

Bien sûr, les partisans de Kissinger et d’une diplomatie du réel, indiqueront que les drames du monde contemporain nécessitent recul, froideur et une bonne dose de cynisme pour ne pas mettre à mal l’intérêt national. Mais qu’est ce que la gauche, qu’est ce que le combat féministe, qu’est ce que l’engagement internationaliste pour une certaine idée de l’Homme si dans ces moments-là, le silence retentit ? Quel est le prix de mesures de rétorsions symbolique, diplomatique, financière à l’égard de ces abominables régimes, dont l’un deux est partie prenante d’une agression contre une démocratie européenne et commanditaire de crimes, de terrorisme et de déstabilisation dans l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient ?

A force d’accoutumance et de banalisation du mal à grande échelle, la France comme l’UE renforcent l’idée selon laquelle les démocraties sont faibles et peuvent être piétinées pour ces raisons auprès des partisans de la force et de l’ordre injuste.

A force de silences et de compromissions, petites et grandes, la gauche dénature sa raison d’être et sa dynamique d’entraînement, contaminée par des thèses dites décoloniales et surannées la conduisant à la paralysie.
Le retour à un discours universaliste et une veille scrupuleuse pour l’égalité des sexes, sans relativisme, le combat pour l’émancipation contre la loi religieuse d’où qu’elle vienne, se meurent dangereusement, entraînant avec eux l’attachement à la Raison et aux progrès humains.

La somme de ces capitulations politiques, à quelques heures d’un possible basculement dans le pays de l’Oncle Sam, rappelle le calme tout aussi relatif du printemps et de l’été 39. Par beaucoup d’assoupissements et de tolérances malvenues, les démocraties emportent avec elles ce qui les fonde. Pourtant, « Femme, Vie, Liberté » ne saurait être un supplément d’âme.

Boris Enet