Socialistes, ne censurez pas !
S’il vote la censure, le groupe socialiste mêlera ses voix à celles de l’extrême-droite et renversera un gouvernement sans savoir qui mettre à la place. Indigne d’un parti de gouvernement…
Par Bernard Poignant
Prophétie de Jean-Luc Mélenchon le 17 novembre dernier sur FR3 : « Le gouvernement de Michel Barnier va tomber entre le 15 et le 21 décembre ». Ce dernier jour correspond au délai constitutionnel des 70 jours pour que les députés et les sénateurs se prononcent sur le budget 2025.
Confirmation de Marine Le Pen quelques jours plus tard : « Ça chemine dans mon esprit. Les bonnes intentions du Premier Ministre sont restées en grande partie des promesses non tenues ». Puis Jordan Bardella enchaîne : « Michel Barnier prend le chemin de la censure ». Le total des voix du Nouveau Front Populaire et de l’extrême-droite dépasse le nombre de 289 députés nécessaires : tout est en place pour renverser le gouvernement avant Noël.
À cette nuance près : en fait, la décision dépend du vote des 66 députés socialistes qui comptent dans leur rang l’ancien président François Hollande. Accepteront-ils, une nouvelle fois, de se plier à l’oukase de Mélenchon ? Ils ont l’occasion de marquer leur différence et de démontrer leur autonomie. Certes, on peut renverser un gouvernement si l’arithmétique le permet. Mais ceux qui le font doivent en constituer un autre autour d’un programme bâti en commun. Sinon, c’est plus qu’irresponsable, c’est stérile.
L’addition de ces voix de la gauche et de l’extrême-droite serait aussi une trahison du Front républicain du 7 juillet. S’entendre pour barrer la route du pouvoir au Rassemblement National par les urnes mais mêler ses voix avec lui dans l’hémicycle, c’est un pied de nez aux électeurs qui ont suivi les consignes de ce Front. Rien n’empêche de s’opposer aux propositions du Premier Ministre. Elles méritent d’être discutées, amendées, approuvées par les groupes qui le souhaitent et rejetées par d’autres. On appelle cela « parlementer » pour chercher l’intérêt général de la France et des Français. Le renverser c’est autre chose…
Il est difficile d’envisager des socialistes s’engager dans une telle initiative sauf à renoncer à son esprit de responsabilité et à son statut de « parti de gouvernement », d’autant plus que l’Assemblée ne peut être dissoute avant juillet 2025. De plus comment avoir choisi cette belle référence au Front Populaire de 1936 et donc à son chef Léon Blum si c’est pour ne pas respecter son histoire ? Qui peut imaginer cette année-là un vote commun du député de l’Ardèche, Xavier Vallat, futur commissaire aux questions juives de Vichy, du député de la Gironde, Philippe Henriot, futur ministre de l’Information de Vichy, tous les deux d’extrême-droite, avec le député socialiste du Nord, Roger Salengro, ministre de l’Intérieur, et Jean Zay, député radical du Loiret, ministre de l’Éducation, tous deux aux cotés de Léon Blum ?
Ce qui était impensable en 1936 doit l’être en 2024. Sans compter que le RN annonce qu’il voterait cette censure parce que ses propositions en matière de sécurité et d’immigration n’ont pas été reprises par le gouvernement. Un comble si des socialistes fermaient les yeux sur cet argument comme si, indirectement, ils les approuvaient. Mieux vaudrait en profiter pour présenter une modification de la Constitution en s’inspirant de la Loi fondamentale allemande de 1949. Son article 67 permet de renverser un Chancelier à condition de préciser à l’avance qui le remplacera. Ou en s’inspirant de l’article 113 de la Constitution espagnole : une motion de censure doit « inclure le nom du candidat à la Présidence du Gouvernement et si cette censure n’est pas adoptée, ses signataires ne pourront pas en présenter une autre pendant la même session ». La responsabilité est au-delà du Rhin et des Pyrénées. Elle doit l’être en-deçà.
PS : La censure est un terme ecclésiastique qui signifie : « Mesure disciplinaire prise par l’Église contre un de ses membres », selon le Dictionnaire de la langue française d’Alain Rey.