« Sois jeune et tais-toi », par Salomé Saqué
Scrogneugneu! Un livre, décapant, dresse le vrai portrait de la jeunesse française, loin des vieux clichés hostiles ou lénifiants.
Ô vous, les barbus, les barbons, les boomers, lisez ce livre ! Vous qui pensez que les jeunes ne sont plus ce qu’ils étaient, vous qui cultivez le souvenir sépia des exaltations soixante-huitardes, vous qui soupirez après l’engagement des sixties, vous qui tenez les jeunots pour des consommateurs peureux et indifférents, ou bien pour des naïfs plaintifs, épouvantés par les défis de l’avenir : vous ferez connaissance d’une génération certes anxieuse, mais plus lucide que vous sur le futur de la pauvre humanité et plus savante sur les moyens de la sauver.
Parlant de ces jeunes, les Alain Finkielkraut, les Luc Ferry, les Brice Couturier, les Elisabeth Lévy se répandent en lamentations condescendantes…
Salomé Saqué est une jeune journaliste qui travaille pour le média en ligne Blast, pour France 5 et France Info. Plutôt que se contenter d’indignations creuses et de vitupérations contre l’ancienne génération, elle a pondu un ouvrage clair, sérieux, tour à tour pertinent et émouvant, qui livre le vrai portrait de la jeunesse française, loin des clichés hostiles ou lénifiants.
Parlant de ces jeunes, les Alain Finkielkraut, les Luc Ferry, les Brice Couturier, les Elisabeth Lévy se répandent en lamentations condescendantes sur leur manque supposé de culture et de civisme, sur leur légèreté, leur égoïsme et leur fragilité. La réponse de Salomé Saqué est nette et sans bavure.
« J’avais vingt ans, écrivait Nizan avant la guerre, et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ».
L’aphorisme se confirme aujourd’hui. Chiffres, exemples et études à l’appui, la journaliste montre que la génération nouvelle a vu se concentrer sur elle un cortège de maux inédits. Bien plus que ses aînés, elle a été frappée par le chômage et la précarité ; elle se loge difficilement, surtout en centre-ville en raison de l’explosion ; elle peine à financer ses études et subit plus qu’avant l’injustice de la reproduction sociale qui favorise les enfants des classes supérieures.
En pages serrées, convaincantes, Salomé Saqué montre sans doute possible que, dans nos sociétés en principe ouvertes, l’entrée dans la vie est devenue plus difficile aux plus jeunes. Non que les générations précédentes aient grandi dans un cocon ; les baby-boomers ont vécu à une époque où le pouvoir d’achat était deux à trois fois inférieur, où la vie quotidienne était corsetée par la tradition et pesamment hiérarchique, où le souvenir des massacres de 1939-45 et la peur de la guerre nucléaire dominaient l’esprit public : la journaliste n’oppose pas les classes d’âges dans un stérile réquisitoire comparatif.
Salomé Saqué remarque que cette génération nouvelle dont on moque l’anxiété a de bonnes raisons de l’éprouver.
Enfermés pendant la pandémie pour protéger les plus âgés, sommés de travailler plus pour payer les retraites, sautant de stages en jobs précaires, les 18-35 ans évoluent au sein d’un paysage médiatique angoissant, où les chaînes d’info alignent les catastrophes et les drames, où les réseaux répandent sans limite le spectacle de la violence. Ils ont peur ?
Mais qui peut rester serein parmi les moins de quarante ans quand ceux-ci savent qu’ils seront, dans la seconde moitié du siècle, les victimes désignées du réchauffement climatique, dont les scientifiques prédisent qu’ils seront effrayants ? Et pourraient-ils prendre les choses avec optimisme quand s’étalent l’impuissance et la désinvolture climatique des têtes grises qui nous gouvernent ?
» Ce qui compte, c’est comment vous allez vous joindre à nos utopies et renouer avec votre « idéalisme de jeunesse… »
Point faible du plaidoyer : S rame un peu pour expliquer l’abstention massive des jeunes générations dans la plupart des scrutins locaux ou nationaux. Cette indifférence est peu justifiable en démocratie. Elle montre en revanche l’implication ardente des mêmes abstentionnistes dans les causes féministes, sociales ou écologiques, leur mise en question d’un travail privé de sens dans des entreprises irresponsables dévouées aux seuls actionnaires. Tous engagements essentiels à n’importe quel projet politique progressiste.
Avec cette conclusion en forme d’appel aux aînés sceptiques ou indifférents : « Ce qui compte, c’est comment vous allez vous joindre à nos utopies et renouer avec votre « idéalisme de jeunesse, ce qui compte, ce n’est pas l’inaction passée, c’est ce que vous allez faire après avoir lu ces pages ».
Salomé Saqué – Sois jeune et tais-toi – Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse –
Payot, 320 pages, 19,90 euros.