Les assassins de la culture
Mise au pain sec, négligée, reléguée en queue des priorités politiques, la culture en France traverse une crise grave, pour ne pas dire existentielle. Les uns la négligent, les autres la fustigent. Arrive le temps du sursaut.

Wajdi Mouawad a décidé de quitter la direction du théâtre de la Colline, à Paris, un an avant la fin de son mandat. Il y a quelques mois, Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon, annonçait qu’il ne redemanderait pas le renouvellement du sien. Tous deux, metteurs en scène respectés, parmi les plus brillants de la scène française. Motif ? Lassitude de gérer des budgets en constante diminution, manque de moyens, peut être diminution du feu sacré nécessaire pour animer de telles institutions. Choix révélateurs en tous cas de la crise, non de la culture, mais des politiques culturelles chargées de la promouvoir.
Depuis le séisme déclenché par la décision de la présidente des la région des Pays-de-Loire de supprimer toutes les subventions culturelles de sa région, la situation s’est encore détériorée. On ne compte plus les festivals suspendus, les orchestres empêchés de se produire, les théâtres fermés une partie de l’année. Les crédits sont en baisse dans les régions, souvent de20%, les départements, parfois de 50%, comme en Haute Garonne ou dans l’Hérault. La culture n’étant pas une compétence obligatoire, elle fait les frais de la diminution des crédits attribués par l’état, dont le budget culturel ne représente plus que 0,6% du budget de l’état, bien loin des 1% obtenus en 1981.
Certes les régions ne représentent que 8% des budgets culturels, les collectivités locales les 2/3 et l’état 1/3. Certes la situation est très variable d’une région à l’autre : la région du Centre-Val-de-Loire, exemplaire, maintient tous ses crédits, dans le Tarn, les budgets augmentent, à Lille, Paris, Marseille, Bordeaux, à Rouen également, parce que leurs élus considèrent que, « dans ce monde anxiogène, marqué par la montée des extrêmes, notre premier enjeu est de faire société et de lutter contre l’intolérance »(Christophe Ramond, Tarn, Télérama du 19mars).Il n’empêche : les dégâts sont considérables : le FRAC des pays de la Loire a fermé ses portes, le pôle arts visuels également, l’orchestre est menacé…
Force est de constater que la culture n’est plus une préoccupation nationale. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Progressivement, depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy jusqu’à aujourd’hui, la culture a quitté le centre des préoccupations politiques. Quelques effets d’annonce, le pass-culture, cela ne fait pas une politique. À cette indifférence relative a succédé une franche hostilité, haineuse parfois, liée à la montée de l’extrême droite qui voit dans les acteurs culturels des adversaires véhiculant une idéologie ouverte à l’autre, l’immigré, et aussi à toutes les évolutions sociétales.
Ce discours s’est répandu dans des franges plus larges, qui ne voient plus l’utilité sociale de la culture, mais une source de dépenses inutiles, qui récusent l’idée même du service public, qui valorisent l’identitaire, la tradition, la culture mainstream sur le modèle du Puy-du-Fou, réécriture de l’histoire, bref un populisme culturel qu’aucun discours venant de la droite républicaine ou de la gauche ne vient contredire. Tout risque de se défaire, de se disloquer, faute d’analyses et de propositions visant à montrer à quel point la culture est nécessaire à la démocratie et tout simplement au bonheur individuel et collectif. C’est cela qui se déroule en ce moment dans une relative indifférence (pas partout heureusement) liée également au fracas des bombes en Ukraine, au Proche orient et à l’évolution de l’Amérique.
La crise budgétaire, les besoins militaires, l’influence de la politique trumpienne, tout aggrave l’affaissement voire la disparition des politiques culturelles. Sursaut européen pour la défense ? Il est grand temps que ce sursaut soit aussi celui du combat pour la culture. Nos âmes, notre plaisir de vivre ensemble en dépendent.