Soudan : l’ombre de la Russie

par Agnès Levallois |  publié le 30/04/2023

Le bilan provisoire – 512 morts, 4200 blessés – s’alourdit au rythme des combats et des trêves piétinées et on se prépare à un afflux massif de réfugiés dans une région déjà très instable…. Bataille de généraux putschistes ou grand jeu régional?

 

Agnès Levalllois

L’aggravation de la situation au Soudan est due à des raisons historiques. D’abord, ce pays a vécu deux guerres opposant le nord au sud qui est devenu indépendant en 2011. Mais aussi, plus récemment, à un antagonisme fort entre deux hommes. Abdelfattah Al Bourhane, général, commandant en chef de l’armée qui dirige de facto le pays et le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti à la tête de paramilitaires de la Force de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF).

Tous les deux ont servi Omar Al Bechir en participant à la guerre du Darfour. L’ancien président, 79 ans – inculpé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre par la CPI – dans le cadre de la guerre du Darfour, avait fait des RSF sa milice privée afin de combattre ou tout au moins contrer l’armée qui pouvait le menacer. Il l’avait d’ailleurs fait venir à Khartoum en 2018 juste avant la révolution. Le gouvernement civil d’Abdallah Hamdok, issu du soulèvement, n’a pas réussi à se maintenir et les deux généraux ont mené un coup d’état en octobre 2021 pour mettre un terme à la transition politique.

Mais Hemetti s’est rapidement opposé à Al Bourhane car il ne voulait pas que les RSF soient intégrées à l’armée. Une opposition accentuée par le jeu de puissances régionales – tout particulièrement l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis– qui ont vu, lors de la chute du gouvernement d’Al Bechir, l’occasion de s’implanter dans le pays contre le Qatar et la Turquie . Ces deux pays soutenaient, depuis les mouvements de contestation au Moyen Orient, les régimes issus des Frères musulmans.

Le Qatar et la Turquie semblent aujourd’hui dépassés par la dégradation de la situation. Abou Dhabi regarde avec inquiétude car l’émirat a investi dans des travaux d’infrastructure au Soudan, tout particulièrement le port commercial sur la mer Rouge ainsi qu’un important projet agricole.

L’Egypte très attentive à ce qui se passe à sa frontière sud a toujours soutenu le général Al Bourhane, lequel entretient des relations étroites avec le président égyptien Al Sissi. L’afflux de soudanais ne manque pas d’inquiéter Le Caire alors que pas moins  de quatre millions réfugiés sont déjà dans le pays.

Enfin, la Libye est impliquée également car des milliers de mercenaires soudanais ont combattu aussi bien auprès du maréchal Haftar que du gouvernement de Tripoli. Résultat : les aspirations du peuple soudanais sont complètement oubliées et la déstabilisation du pays a des conséquences sur l’ensemble de la région.

Enfin, la présence de la milice Wagner suscite de nombreuses interrogations nourries par la signature d’accords en 2017 entre la Russie et le Soudan permettant l’installation d’une base navale à Port Soudan et d’accords de concession sur l’exploitation de l’or.

Quel est exactement le rôle des hommes de Wagner et de la Russie depuis le déclenchement des hostilités, on ne sait pas? Mais l’ombre de la Russie de Poutine à l’évidence plane sur le pays.

Agnès Levallois

Editorialiste Etranger - Vice-présidente de l'IREMO