Souveraineté populaire
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Aujourd’hui : « Souveraineté populaire «
Emmanuel Macron veut réformer les institutions françaises « en redonnant de la force à la souveraineté populaire ». Pourquoi cette locution à la fois banale et mal connue ? Qu’entend-on par « souveraineté populaire », en quoi pourrait-elle poser problème, alors même que dans notre République, par définition, le peuple élit ses dirigeants ?
C’est la faute à Rousseau (non Sandrine, mais Jean-Jacques). Le bon philosophe a exposé ses vues en 1762 dans un livre fondateur pour les démocraties, Le Contrat Social, texte révolutionnaire s’il en fut, puisqu’à son époque la souveraineté – c’est-à-dire le pouvoir suprême, soumis à aucun autre – appartenait depuis des siècles au roi, appuyé sur l’Église, au sein d’une monarchie de droit divin.
Foin de la tradition ! dit Jean-Jacques. Dans l’État idéal, c’est le peuple et non le roi qui doit détenir la souveraineté, laquelle repose sur la volonté générale et non sur celle de Dieu. Chaque cosignataire du « contrat social » possède une parcelle de cette souveraineté, qui lui donne le droit de concourir à égalité avec les autres aux décisions communes. Dans l’idéal rousseauiste, inspiré des démocraties antiques, grecque ou romaine, le peuple, assemblé sur l’agora, délibère rationnellement et tranche des affaires publiques. Ainsi fut conçu et fondé le modèle de la « démocratie directe », où nul intermédiaire se vient séparer la volonté générale, exprimée par le vote érigé en droit, de sa traduction légale.
Conscient des difficultés qu’il y a à réunir en permanence le peuple tout entier sur une agora dans des pays à la population nombreuse, Rousseau admet l’existence de représentants du peuple, délégués à l’élaboration des lois et au gouvernement du pays. Mais il les soumet à un étroit contrôle populaire, avec un mandat court et impératif ; il les menace même de rappel ou de destitution dans le cas où ils s’écarteraient de la mission reçue au moment de l’élection. Il préconise tout autant la tenue régulière de référendums sur les questions importantes, permettant au peuple de trancher directement, sans passer par ses élus.
Se méfiant de ce peuple, qu’ils jugent trop enclin aux décisions prises sous le coup de l’émotion, ou de l’ignorance, d’autres révolutionnaires, comme Sieyès, préfèrent l’idée de « souveraineté nationale ». Pour eux, ce sont les élus, et non le peuple directement, qui doivent être les interprètes de l’intérêt de la nation, entité abstraite qui englobe l’ensemble de la société. Une fois désignés, ces élus doivent agir, non en fonction des désiderata particuliers de leurs électeurs, mais selon l’intérêt général, dont ils deviennent les dépositaires de confiance. Le tout résumé dans cette formule de Sieyès : « la confiance vient d’en bas, le pouvoir vient d’en haut ».
Débat permanent en France. Nous vivons dans une démocratie représentative où, par principe, les élus n’ont pas de mandat impératif. Mais les Français, on le voit tous les jours, ne cessent de contester ce pouvoir représentatif en fustigeant une classe politique « coupée du peuple ». D’où les projets dans les partis, à gauche notamment, qui tendent à accroître la part de la démocratie directe dans les institutions : référendum d’initiative populaire, refus du cumul des mandats, droit de rappel des élus, scrutin proportionnel pour représenter à égalité les divers courants de la vie nationale, etc.
Avec les inconvénients soulignés par les partisans de la démocratie représentative : si on le consulte en permanence, le peuple agira souvent sous le coup de l’instant et de l’émotion, il risque de laisser libre cours aux démagogues. Il est ainsi capable de rétablir la peine de mort, de sortir de l’Union européenne pour le regretter ensuite, de fermer les frontières à toute immigration en violant le droit des réfugiés (arguments de gauche). Ou bien de taxer les riches de manière confiscatoire, de rendre la vie des entreprises impossible, de révoquer des élus pour un oui ou pour un non (argument de droite). Et ils ajoutent : débattant rationnellement selon des procédures réglées, appuyés sur l’avis des experts, conscients des enjeux et des héritages, les élus sont plus sages que les électeurs, lesquels peuvent de toute manière en changer à intervalles réguliers.
Ce à quoi les partisans de la démocratie directe (souvent des populistes, mais pas seulement) répliquent que c’est refuser toute confiance au peuple, seul détenteur légitime de la souveraineté, et capter le pouvoir au profit d’une mince élite de politiciens professionnels.
Voilà le débat qu’Emmanuel Macron s’apprête à ouvrir. Débat juridique, débat de science politique ? Oui, mais aussi débat très concret, qui engage l’avenir du pays.