Souverainisme ? Oui, mais européen

publié le 05/05/2024

Les souverainistes qui s’inquiètent de l’évolution de l’Union Européenne se trompent de combat. Par Rita Maalouf (*)

Rita Maalouf

Pendant que Raphaël Glucksmann esquissait à Strasbourg sa vision d’une puissance européenne sociale et écologique, une cinquantaine de personnalités, dont Arnaud Montebourg et Marcel Gauchet, lançaient un appel dans Le Figaro, réclamant l’organisation d’un référendum sur l’introduction de la règle de la majorité dans l’Union. Pour eux, la résolution du Parlement européen de novembre 2023, qui préconise la poursuite de la construction européenne par le vote à la majorité, mettrait en péril la souveraineté française. De plus, ils estiment que l’élargissement de l’Union à l’Ukraine, à la Moldavie ou aux pays balkaniques, affaiblirait la France.

Le souverainisme qui inspire cet appel n’est pas sans rappeler celui de la France insoumise, à ce stade camouflé derrière une campagne pour la Palestine, par peur d’assumer devant les Français son refus des règles européennes. De la même manière, échaudé par l’échec du Brexit, le Rassemblement national craint d’inquiéter l’opinion en proposant la sortie de l’euro. Il font mine d’accepter l’Europe, tout en se réfugiant dans un nationalisme d’exclusion franco-français.

Répondons donc aux signataires de l’appel, qui ont, eux, le courage de leurs opinions. L’argument selon lequel l’élargissement entraîne l’affaiblissement de l’Europe n’est pas nouveau. Il a déjà été avancé lors de l’adhésion de la Grande-Bretagne ou de l’Espagne : « nos industries allaient être ravagées et notre agriculture saccagée ».

Or les difficultés actuelles ne résident pas dans l’élargissement, mais dans la politique libérale menée par une majorité de droite PPE au Parlement européen, une majorité jamais sanctionnée, jamais questionnée. Ce n’est pas le moindre des paradoxes des souverainistes que de faire porter la critique sur l’Europe et non sur les politiques qui y sont menées.

Depuis les craintes suscitées par l’ouverture de l’Europe à d’autres pays du continent européen, le contexte international et la compétition économique mondiale ont changé : le souverainisme national est de moins en moins adapté aux défis des temps nouveaux. Les États-Unis et la Chine prennent en tenaille les économies européennes. L’Amérique tente de siphonner les investissements européens, les Chine d’inonder le marché intérieur de produits à bas prix. Seule l’Union a la force de résister à cette double emprise.

Aussi bien, la guerre a fait son apparition sur le sol européen avec l’intervention militaire de la Russie. À cet égard, l’appel des cinquante est d’une étrange mansuétude avec la Russie, comme le sont les souverainistes de tout bord. La nécessité d’une défense européenne s’ impose désormais comme une évidence. Les tentations « trumpistes » de sortir de l’OTAN obligent désormais l’Europe à coordonner ses efforts militaires. Lors de son discours à Strasbourg, Raphaël Glucksmann a proposé un emprunt de 100 milliards pour doter l’Europe d’une défense à la hauteur de ses besoins, une charge que la France seule ne pourra jamais assumer.

De nouveaux défis sont également apparus depuis les premiers débats sur l’élargissement : des défis sanitaires avec la Covid, climatiques avec le dérèglement qui s’accélère, numériques avec le développement de l’intelligence artificielle, migratoires avec les flux massifs de migrants vers l’Europe, monétaires avec la création de l’euro, et enfin, sécuritaires avec la menace terroriste islamiste qui touche désormais l’ensemble de l’Europe.

Dans ces conditions, le souverainisme national n’est qu’une nouvelle ligne Maginot. Pour préserver nos valeurs, nos modes de vie et nos cultures, pour faire face aux nouveaux défis, il est essentiel de porter la souveraineté au niveau européen. Il faut mutualiser nos forces pour s’attaquer aux problèmes qui assaillent nos sociétés. Ce débat entre souverainisme national et souverainisme européen est l’impensé de la campagne des Européennes. Lui seul, pourtant, permet de clarifier les enjeux de cette élection.

Face à Emmanuel Macron, dont l’action n’a pas été à la hauteur des objectifs qu’il proclamait, il s’agit de construire au Parlement de Strasbourg une nouvelle majorité capable d’imposer le souverainisme européen, tel que le proposent les sociaux-démocrates européens avec le PSE.

(*) Candidate Parti socialiste-Place publique