« Soyez sensuel, Ravel! »

par Thierry Gandillot |  publié le 09/03/2024

Anne Fontaine plonge avec talent dans l’histoire conflictuelle du Boléro culte. 

D.R

Ah ! Ses chaussures ! Le maestro ne peut pas diriger sans avoir chaussé sa paire de concert, vernie. Tant que sa gouvernante ne les a pas apportées de Montfort-l’Amaury, il refuse de diriger. L’orchestre attend. Des années plus tard, quand Ravel est atteint par une maladie neurologique, la même gouvernante lui noue ses lacets. Et quand il part vers l’hôpital pour l’opération de la dernière chance, c’est encore elle qui lui tend l’indispensable paire à la fenêtre du taxi. Cette fois, il dit non : « Vous me les apporterez plus tard quand je serai guéri. » Il ne reviendra pas. Il a soixante-et-un an.

Le film s’organise autour de l’accouchement dans la douleur du chef-d’œuvre qui fera la gloire de Ravel et la fortune de ses héritiers. Mais par son montage et son rythme efficaces, par ses dialogues ciselés, son humour élégant, il permet aussi d’ausculter la vie et la personnalité complexe du compositeur : ses cinq échecs au Prix de Rome, son engagement dans la Première Guerre mondiale, son amour impossible pour sa muse Misia Sert… Dans le rôle de Ravel, Raphaël Personnaz est convaincant, entouré par Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos et Doria Tillier, Anne Alvaro.

L’œuvre a été commandée à Ravel par la danseuse, aussi riche que fantasque, Ida Rubinstein. Elle veut un ballet espagnol. Elle y va franchement, Ida : «  Faites-moi quelque chose de charnel, de sensuel, d’érotique ! » Érotique ? Mon Dieu ! Ravel, si coincé, à qui on ne connaît aucune liaison ! Il va falloir se faire violence.

L’inspiration ne vient pas.  Alors, le compositeur qui ne croyait pas « aux muses, mais à la musique », procrastine, musarde, martèle sur un piano de bordel les accords de La Madelon, écoute une soubrette fredonner « Valencia », une romance à la mode, se concentre sur le battement métallique des machines dans une usine… Ah ! Cette fois, on y est :Tac – Tac, Tac, Tac, Tac : le rythme du Boléro.

Mais la volcanique Ida trouve que ça traîne. Elle s’accroche aux basques du natif de Ciboure, le traque, le bouscule, menace. «  Ce Boléro m’épuise, me possède », se lamente Ravel.  À deux semaines des répétitions, cet insomniaque chronique se lamente. «  Je suis piégé. Dix-sept minutes en deux semaines, ça fait une minute de mélodie à écrire par jour ! » Maurice n’a pas grand-chose à se mettre sous la baguette, sinon le rythme des machines, l’idée d’une mélodie lancinante reprise dix-sept fois dans un crescendo hypnotique jusqu’au chaos…

« Bolero » d’Anne Fontaine, 2 heures.

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Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture