« Staline a bu la mer »
Ascension, complots, obsessions, répression, « Staline a bu la mer », de Fabien Vinçon, revient sur un épisode symbolique de ce règne de terreur: l’assèchement de la mer d’Aral
Folie est le mot qui décrit le mieux le projet décidé par le « petit père des peuples ». Après la Seconde Guerre mondiale, après avoir vaincu Hitler, éliminé ses rivaux au sein de l’appareil soviétique et mené ses purges, Staline ne voit plus qu’un seul adversaire à sa mesure : la nature.
En 1948, à 70 ans, l’ogre est de plus en plus sujet à la paranoïa. Il s’imagine qu’un vent venant de la mer d’Aral le pourchasse et cherche à lui faire du mal. Rien ne doit résister à sa volonté. Il décide donc de… vider la mer pour la remplacer par des champs de coton. La sinistre besogne incombe à un ingénieur, Léonid Borisov, communiste sincère et obéissant.
Pour réussir cette folle entreprise – 70000 m2 d’eau à vider ! -Borisov décidé de détourner les deux fleuves à proximité, le Amou-Daria et le Syr-Daria. D’abord, flattés par le grand intérêt que porte le Kremlin pour leur région, les Ouzbeks vont vite comprendre qu’ils font face à leur propre disparition et vont entrer en résistance. Staline les a dupés. À ses yeux, ils ne sont que des rebelles à punir.
Au milieu de cette aventure unique en son genre, Leonid Borisov va vivre une histoire d’amour avec une jeune Ouzbek, de quoi le faire douter de sa folle mission. Mais, en Soviétique convaincu, rien ne le détournera de son but. Même si tous ses idéaux s’effondreront devant ses yeux. Pour ne pas faillir à sa mission, il renoncera même à poursuivre sa liaison amoureuse.
Réussir, oui, mais à quel prix ? Faillite humaine, politique, écologique et personnelle pour Borisov qui connaîtra l’infernale répression soviétique où le héros célébré hier devient l’ennemi de classe du lendemain. Au-delà du drame écologique et environnemental se joue un drame humanitaire puisque les habitants de la région seront déportés ou périront lors des gigantesques travaux.
Plus que l’entreprise de détournement de l’eau, le roman parle de la détermination de Staline à faire de la Russie soviétique un bloc monolithique. « L’homo sovieticus » doit avoir la même idéologie, la même pensée, la même culture, la même croyance en l’indépassable communisme. Le tout sous la coupe du dictateur au gré de ses envies. « Staline a bu la mer » , alternant des passages poétiques, magiques et la terrible réalité, est d’abord un récit tragique sur la folie aveugle des tyrans.
Reste une mer d’Aral, autrefois la 4e plus grande étendue d’eau intérieure du monde, et que, de nos jours, on appelle le désert d’Aral. Où seuls les bateaux rouillés, au milieu des étendues de sable sec, rappellent le passé.
« Staline a bu la mer » , Fabien Vinçon, roman, 2023, éditions Anne Carrière, 272 pages,19 euros