Stanislas : la vraie affaire
La polémique autour du collège privé parisien, qui gêne tant la ministre de l’Éducation, tourne à la confusion, comme si on voulait ranimer une « guerre scolaire » inutile et dépassée au lieu de traiter les vrais problèmes. Éclaircissements.
Amélie Oudéa-Castera a décidé de se « déporter » du traitement de l’affaire Stanislas au profit des services du Premier ministre, pour cause de conflit d’intérêts. C’est la moindre des choses, même s’il eût été plus clair qu’elle démissionnât après sa boulette géante, quand elle a justifié sa décision de quitter l’école publique de son quartier en l’incriminant faussement. Telle était sa véritable erreur, et non, comme on lui en a fait le reproche, d’avoir choisi le privé pour ses enfants, ce que pratiquent quelque 20% des familles françaises, qui ne sont pas toutes bourgeoisies et conservatrices, loin de là.
Aussitôt, droite et gauche ont entonné les antiques refrains de la « guerre des deux écoles », ce qui a noyé la discussion dans une caricaturale confusion. En « Une » du Figaro, la philosophe réac Chantal Delsol demande avec ingénuité, « s’il est encore permis de dispenser un enseignement catholique ». Fausse question, à dessein trompeuse. Depuis la loi de Séparation, et plus encore depuis la loi Debré et son éclatante confirmation lors des grandes manifestations de 1984, il est entendu dans la République que l’enseignement privé a droit de cité. Le compromis scolaire, désormais consensuel, stipule que les écoles religieuses sont parfaitement licites et qu’elles sont mêmes subventionnées par l’État. Elles ont toute latitude pour conférer à leur établissement un « caractère propre » que personne ne songe à remettre en cause. À une condition : se conformer au contrat qu’elles passent avec l’État en échange d’un financement public, selon lequel elles respectent les programmes établis par l’Éducation nationale, accueillent les élèves hors de toutes discrimination religieuse et les laissent libres de suivre ou non les enseignements spirituels proposés en option, en toute liberté de conscience.
Ainsi, il n’est aucunement reproché au collège Stanislas d’être catholique et de se référer aux principes de l’Église, mais plus précisément d’avoir dérogé de manière illicite aux termes du contrat qu’il a signé avec l’État, par exemple en obligeant les élèves à aller au catéchisme, ou encore en refusant de dispenser des cours d’éducation sexuelle, en répandant dans l’établissement un climat sexiste et homophobe, ou encore en faisant intervenir des conférenciers extérieurs aux orientations rigoristes très contestables.
Toutes choses consignées dans un rapport très officiel, rendu public hier par le site Mediapart, qui vise uniquement Stanislas et non les écoles catholiques en général, lesquelles s’abstiennent la plupart du temps de déborder du cadre légal qui leur est imparti. Alarmes superfétatoires, donc, qui ont pour seul objet de permettre à la droite de se victimiser en lançant une campagne factice en faveur du privé, soi-disant menacé par les « laïcards » bouffeurs de curés. On imagine d’ailleurs facilement ce que serait la réaction de la même droite si les pratiques relevées à Stanislas avaient été le fait d’une école musulmane. Aussitôt, on eût été tympanisé par les grandes orgues de la dénonciation du « communautarisme » et du « séparatisme ». Vérité en deçà du catholicisme, erreur au-delà…
Mais la mauvaise foi (c’est le cas de le dire) touche aussi la gauche. Toute à sa légitime défense de l’école publique, elle oublie de se demander pourquoi tant de familles choisissent de dépenser de l’argent en plus de leurs impôts pour scolariser leurs enfants dans le privé. Certes, un certain nombre le font en vertu d’un « entre-soi » socialement connoté et fort critiquable, telle Amélie Oudéa-Castera. Mais beaucoup d’autres quittent l’école publique, il faut le dire franchement, parce qu’elles en sont mécontentes. Discipline relâchée, insécurité, fonctionnement bureaucratique, manque de professeurs, niveau insuffisant : les exemples abondent, notamment dans les quartiers populaires, même s’il faut se garder de toute généralisation. Tel devrait être le vrai débat, plutôt que cette mauvaise pièce de théâtre politique qui ressuscite une querelle scolaire d’un autre âge.