« Stanislas » : un élitisme à la limite de la légalité
En contournant Parcoursup, Stanislas a-t-il enfreint la loi ? Pour Valérie Delage, spécialiste de la plate-forme, Stanislas a enfreint les principes de liberté d’expression, d’égalité de traitement et de transparence
Contestable pratique de l’entre-soi… Selon les révélations de Mediapart, confirmées depuis par Prisca Thévenot, porte-parole du gouvernement, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra a laissé son fils bénéficier d’un système de contournement de Parcoursup bien huilé mis en place par Stanislas, le lycée privé catholique élitiste du 6e arrondissement de Paris.
Afin de mieux contrôler les effectifs de ses prestigieuses classes préparatoires, le lycée Stanislas demande à certains de ses lycéens de ne saisir qu’un seul vœu dans Parcoursup : « Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE) » avec l’établissement « Stanislas » comme seul sous-vœu. Si l’élève refuse de s’y plier, son intégration en prépa à Stanislas peut être compromise.
Ce système de contournement permet au lycée de s’assurer de la présence d’étudiants qu’il a formés lui-même et dont il connaît les qualités, au détriment de ceux qui auraient pu venir d’autres établissements, ce qui est contraire à la philosophie de la plate-forme, censée donner les mêmes chances à tous. Cette pratique a permis à l’établissement de s’assurer de 25% de ses effectifs en prépa pendant plusieurs années !
Tuile supplémentaire pour Stanislas : le 17 janvier, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lui-même reconnu le caractère irrégulier du procédé. Il a adressé un courrier à la direction du lycée « pour lui rappeler ses engagements » à respecter la charte de Parcoursup, notamment le « respect des principes de liberté d’expression des vœux émis et de choix des propositions d’admission et de non-discrimination, d’égalité de traitement, d’équité et de transparence ».
Rien d’étonnant dans cette admonestation : Parcoursup a justement été conçu pour donner le plus de liberté possible aux élèves, en leur permettant de saisir jusqu’à 10 vœux maximum et, pour chaque vœu, jusqu’à 20 sous-vœux. Un vœu correspond soit à une formation donnée dans un établissement donné, soit à un type de formation comme les prépas scientifiques, les concours communs des écoles de commerce post bac (Accès, Sésame) ou les filières médecine (PASS).
Un des avantages de Parcoursup par rapport à l’ancien système APB, c’est que les élèves n’ont pas à hiérarchiser leurs vœux. Cela leur permet d’attendre jusqu’au moment des résultats pour choisir. Comme je l’explique dans mon livre, cette décision de ne pas faire prioriser les vœux est justifiée par le fait que les élèves ne sont pas mûrs dans leurs choix d’orientation durant l’année de terminale. Dans APB, ils devaient fixer leurs vœux avec un ordre de préférence très tôt dans l’année.
Or, souvent leurs souhaits changent entre le moment où ils consultent le logiciel Parcoursup pour connaître l’étendue des formations possibles (décembre-janvier) et le moment où ils saisissent leurs vœux (février-mars), mais aussi lorsqu’ils échangent avec leurs camarades sur les réseaux sociaux, et, même en phase de résultats (juin-juillet), les priorités des élèves peuvent changer d’un jour à l’autre.
Enfin, le conseil donné par les professeurs, en droite ligne des directives informelles édictées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur Parcoursup, est de saisir trois types de vœux : des vœux ambitieux, des vœux moyens plus ou moins atteignables et des vœux pour des formations non sélectives, afin d’être sûrs d’être pris quelque part.
Le fondement de Parcoursup, c’est de permettre à chaque candidat de formuler ses vœux librement, sans aucune contrainte, comme l’indique le ministère dans ses vidéos tutoriels, tout en égalisant les chances des élèves. Ce qui débouche sur un paradoxe : la pratique imposée par Stanislas pénalise les élèves qui, d’une part, prennent un gros risque (si jamais Stanislas décidait finalement de ne pas les garder), et, d’autre part, n’ont plus aucune possibilité de changer d’avis en fin d’année.
Cela pénalise même Stanislas qui se prive d’éventuels candidats avec de meilleurs résultats. Il faut croire que la direction du lycée préfère de loin l’entre-soi et la reproduction sociale au respect des règles communes.
Valérie Delage – Auteure de Parcoursup – Tout comprendre sur le fonctionnement de la plateforme publié en décembre 2023 aux Éditions Studyrama.
Diplômée de l’Executive Master Management des politiques publiques de Sciences Po en 2023, Valérie Delage a réalisé son mémoire de master sur la mise en œuvre de Parcoursup dont cet ouvrage est tiré.