Sus à la nuance !

par Laurent Joffrin |  publié le 25/10/2023

Elisabeth Borne débarque le président du Conseil d’Orientation des Retraites. Celui-ci avait eu le malheur de tenir des propos nuancés…

Laurent Joffrin

Face à un pouvoir très vertical, il avait refusé de se mettre à l’horizontale. Le voici expulsé du graphique. Pendant le long conflit sur les retraites, Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) avait fait entendre un discours nuancé que la Première ministre n’avait pas trouvé à son goût. La vengeance politique étant un plat qui se mange froid, elle vient de débarquer d’une pichenette en Conseil des ministres ledit Pierre-Louis Bras, qui a eu le grand tort de ne pas emboucher les trompettes macroniennes pendant la crise. On suppose que son successeur aura la nuque moins raide.

Le 19 janvier dernier, auditionné par le Parlement, Pierre-Louis Bras avait indiqué que les dépenses du système de retraite « ne dérapaient pas » mais il avait aussitôt ajouté que les travaux du COR laissaient prévoir des déficits durables et conséquents. Les opposants à la réforme avaient sauté sur le premier argument, laissant dans l’ombre le second, affirmant hautement que la réforme n’avait rien d’urgent.

C’est cette interprétation, dont Bras a porté le chapeau, qui a déclenché l’ire gouvernementale. En avril dernier, comme le rappelle Le Monde, Elisabeth Borne avait estimé que les déclarations du président du COR avaient « brouillé les esprits ». Elle avait ensuite réitéré ses critiques en accusant l’instance de n’avoir pas « pleinement joué son rôle ces derniers temps », en s’exposant à « toutes sortes d’interprétations et d’expressions, éloignant ainsi le COR de sa mission originelle » Ainsi va le débat public selon Borne : tenir des propos nuancés, c’est « brouiller les esprits » et sortir « de sa mission ».

L’affaire est plus grave qu’il y paraît. Le COR est l’une des rares instances indépendantes qui avaient gagné le respect de l’opinion et des partenaires sociaux. Composée d’élus et d’experts de bords opposés, elle produisait des études dégagées de toute influence partisane, sanctionnées par l’appui unanime de ses membres. Ainsi, à la différence de tant de diagnostics publics soumis à la subjectivité politique, les controverses sur la retraite portaient-elles, non sur la réalité des problèmes, admise par tous, mais sur les moyens d’y faire face.

La médiocre revanche d’Élisabeth Borne vient miner la réputation durement acquise du COR. S’il s’avérait qu’elle remplace Bras par une personnalité à sa main, le COR serait aussitôt accusé de devenir une courroie de transmission du discours gouvernemental. Pour avoir déplu au pouvoir, l’instance indépendante aurait cessé de l’être. Et la macronie qui s’enorgueillit de travailler à la modernisation du pays, l’aurait renvoyé, sur ce dossier, à l’archaïsme antérieur. 

Laurent Joffrin