Sus aux Vlops !
La régulation par l’Europe des grandes plates-formes numériques constitue une victoire politique majeure pour les démocraties
On connaissait les Gafam… Voici les Vlops. Le premier acronyme réunissait les « géants du numérique », Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ; le second, plus récent (very large online platforms : Vlops), désigne les dix-neuf géants et sous-géants, dont Twitter, Tik-Tok ou Zalando, que la Commission de Bruxelles vient de mettre dans son viseur pour mieux réguler les services en ligne. L’affaire semble principalement technique. Elle constitue en fait une victoire politique majeure pour l’Europe.
Il fut longtemps entendu que les entreprises du numérique, trop puissantes, aux activités trop fluides et rapides, échappaient à la loi commune du commerce et de la communication. Dans leur grande sagesse, ou grâce au miracle d’un marché omniscient, elles étaient censées se réguler toutes seules.
Par la conjonction d’une action de lobbying intense, de la complicité d’autorités politiques vouées au libéralisme extrême dans ce domaine et de l’idéologie libertaire qui animait les adeptes du numérique, ces entreprises avaient réussi à bloquer toute tentative sérieuse de mise au pas.
Trop petits ou trop désuets, les États démocratiques, ajoutait-on, devaient abdiquer de leur souveraineté pour laisser la voie libre à l’avenir radieux de la communication en ligne. Plus puissantes que les parlements et les gouvernements, les Vlops se situaient, par une extravagante exception, au-dessus des lois.
On connaît le résultat de cette cécité collective : prolifération des fake-news, diffusion massive des théories du complot, multiplication des contenus haineux ou racistes, arnaques en tout genre, services discrets obligeamment fournis à la criminalité organisée, etc. le tout pour le plus grand profit des actionnaires des Gafam ou des Vlops. À tel point que la prévisible dérive d’Internet est aujourd’hui devenue l’une des premières menaces qui pèsent sur les démocraties.
Cette période prend fin, du moins on peut l’espérer. Sous la houlette de l’énergique commissaire européen chargé du dossier, Thierry Breton, l’Union européenne a mis en place une réglementation intelligente, le DSA, Digital Service Act ou Acte sur les Services Numériques, qui protégera les internautes européens des contenus et des produits tenus pour illicites dans leurs pays.
Elle contraindra aussi les réseaux sociaux, les sites d’e-commerce et les moteurs de recherche à davantage de responsabilités, sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires et même jusqu’à l’exclusion pure et simple hors de l’Union.
Ce qui fait émerger deux leçons politiques décisives. D’abord la défaite de l’illusion libérale. Oui, quand elles décident de prendre les choses à bras le corps, les démocraties peuvent faire entendre raison aux multinationales. Ensuite la défaite de l’illusion souverainiste.
Oui, l’Europe est plus efficace que les États nationaux quand elle s’accorde sur une politique commune. À bon entendeur…