« Swing states » : pourquoi Harris peut perdre

par Emmanuel Tugny |  publié le 18/10/2024

Dans sept « États-clés », Trump est au coude-à-coude avec sa rivale, qui peine à conserver sa mince avance. Revue de détail.

Donald Trump danse en sortant de scène lors d'un meeting à Coachella (Californie), le 12 octobre 2024 (Photo de Mario Tama / Getty Images via AFP)

Le 5 novembre prochain, 244 millions de votants américains éliront les 538 grands électeurs mandataires de leur suffrage en faveur de Trump ou d’Harris. Cette élection obéira au principe du « winner takes all » (dans tous les États, Maine et Nebraska à part), qui veut que la liste de grands électeurs parvenue en tête, dont la taille dépend du poids démographique de l’État, voie tous ses membres prendre part au choix du candidat.

Pourtant, peu nombreux sont les électeurs qui seront en mesure de faire basculer une élection dont le résultat repose en vérité sur l’option prise par sept états dont la versatilité électorale se vérifie de scrutin en scrutin : les « swing states ».

Certes, des faveurs de l’axe nord-sud central qui court du Dakota du nord au Texas, en passant par le Nebraska, l’Oklahoma ou le Kansas, Harris peut faire son deuil. De même, de l’extrême occident américain (Californie, Oregon, Washington) et des États qui voisinent New-York (New Jersey, Delaware, Connecticut…), Donald Trump a peu à attendre.
Mais d’autres États ont montré qu’ils étaient sensibles à la singularité des candidats en présence, au détriment éventuel de leur dilection précédente, gagnant le statut de terre de conquête électorale.

Ils sont sept qui représentent 61 millions d’habitants (31,6 millions d’inscrits), et accueillent 93 des 270 grands électeurs dont la décision présidera au triomphe de l’un de deux champions : Pennsylvanie (19 grands électeurs), Nevada (6 grands électeurs), Géorgie (16 grands électeurs), Wisconsin (10 grands électeurs), Arizona (11 grands électeurs), Michigan (15 grand électeurs) et Caroline du Nord (16 grands électeurs).

Comment expliquer l’incertitude qui règne au sein de ces sept divisions de l’espace politique américain qui placent les deux candidats autour de 47% (Harris entre 46,7 et 48,1%, Trump entre 47,1 et 48,5%) de leurs intentions de vote ?

Le Wisconsin est volontiers démocrate. État rural et agricole, il semble partagé entre goût de l’État-providence et hantise du dumping social annoncé par l’anti-immigrationniste Trump.

La Pennsylvanie, État puissamment industriel, mais innovant en termes d’agriculture, est partagé entre conservatisme rural chrétien et progressisme citadin syndiqué. Il fut longtemps gagné aux républicains, mais vote plus volontiers démocrate depuis les années 1990. Les brutales restructurations qu’a subies son activité productive au milieu des années 2000 suscitent aigreur et espoirs, rancune antiétatique et aspiration keynésienne. En un mot, elles rendent son choix final imprévisible.

État confédéré, la Caroline du Nord est cependant devenue au fil des décennies, un État acquis aux républicains. Membre de la « Bible belt » (sud-est du pays), elle est un pôle religieux, mais aussi une aire industrielle innovante depuis les années 1950, sensible aux stimuli étatiques.

Longtemps place forte du parti démocrate, la Géorgie s’est donnée aux républicains dans le cours des années 1960, notamment en réaction à l’activisme d’Atlanta en faveur des droits civiques. L’État est aujourd’hui le lieu de l’affrontement électoral de deux classes moyennes émergentes : une nouvelle bourgeoisie afro-américaine favorable aux démocrates et une nouvelle bourgeoisie hispanique favorable aux républicains.

Vieil État industriel à la démographie chancelante, le Michigan, qui vit depuis les années 2000 une période d’entropie économique et de chômage massif (près de 12% de la population active), vote le plus souvent démocrate. Mais les déclassés sociaux aigris pourraient y pencher pour Trump ; les nombreux électeurs d’origine moyen-orientale qui y résident et condamnent le soutien de Biden à Israël pourraient s’y abstenir, à l’instar de la forte population étudiante « gauchiste » déçue par les renoncements centristes du parti de Bernie Sanders.

Bastion conservateur, l’Arizona fut longtemps acquis au GOP (Grand Old Party), mais les excès de l’activisme MAGA (Make America Great Again) local semblent pouvoir jouer en faveur d’Harris.

Quant au Nevada, actuellement démocrate, mais déchiré entre Nord conservateur et Sud progressiste, durement lésé par la crise économique, peu diplômé, il voit sa population, pourtant en ample partie constituée d’immigrés hispaniques « parvenus », se montrer sensible au discours anti-immigration de Trump.

Harris conserve une avance de plusieurs points à l’échelle nationale. Mais on voit bien que l’infernal mécanisme des « swing states », comme ce fut le cas aux dépens d’Hillary Clinton en 2016, peut inverser le résultat.

Emmanuel Tugny

Emmanuel Tugny