Sylvain Tesson : poètes, vos papiers !

par Jérôme Clément |  publié le 24/01/2024

600 « poètes, éditrices, éditeurs, libraires, enseignants, acteurs de la scène culturelle française » ont signé une pétition contre la nomination de Sylvain Tesson, pour parrainer le printemps des poètes en 2024, du 9 au 25 mars

Sylvain Tesson écrivain et voyageur au Congrès des Régions de France 2021- Photographie Nicolas Guyonnet / Hans Lucas

Sylvain Tesson, serait, selon les signataires, « une icône réactionnaire » qui aurait préfacé un ouvrage de Jean Raspail, auteur bien connu de l’extrême droite. Cela s’est avéré faux. Depuis la parution de la pétition, les déclarations affluent, notamment de la droite et de deux ministres : Bruno Le Maire, et Rachida Dati, ministre de la culture, qui protestent vigoureusement contre cette atteinte à la liberté d’expression et d’opinion.

Prise au dépourvu, la gauche a un moment hésité, avant de rejoindre, pour l’essentiel, le camp de ceux qui défendent l’écrivain, sa liberté de penser, et sa légitimité littéraire, quelles que soient ses opinions, dès lors qu’elles ne rejoignent pas celle de l’extrême droite. Jack Lang, créateur de la manifestation, a été particulièrement clair « en s’insurgeant avec force contre la campagne imbécile menée à l’égard de Sylvain Tesson : un tel crétinisme est une insulte à la poésie qui, par excellence, est libre et sans frontières ».

Il faut reconnaître l’initiative particulièrement malvenue : le printemps des poètes a pour vocation « de sensibiliser à la poésie, élèves, étudiants ou adultes, des écoles, médiathèques, Librairies ou festivals ». Il n’y a jamais eu d’enjeu politique, et Sylvain Tesson, dont on peut apprécier ou non son attirance pour la droite identitaire, n’est pas illégitime littérairement dans cette affaire. Ses prises de position peuvent déranger, mais la littérature, en a vu d’autres : de Brasillach à Céline, de Paul Morand à Houellebecq, pour ne parler que des époques récentes !

Jeter l’anathème sur un auteur, voilà une étrange façon de défendre la liberté d’expression, au moment, même où elle est partout menacée. Le résultat brillant de cette absurde initiative est de donner une magnifique occasion à la nouvelle ministre de la culture de s’improviser chantre de la liberté d’expression et de fustiger ces pétitionnaires sectaires de gauche qui veulent la brider. Zéro pointé.

Cette affaire peu glorieuse démontre une fois encore l’effet pervers des pétitions à l’époque des réseaux sociaux : sur un sujet ou l’autre, manipulé par on ne sait qui, parfois sincère et de bonne foi, une pétition circule dans les journaux. On reçoit des appels téléphoniques invérifiables et succincts, les réseaux sociaux relayés par des sites spécialisés, mais aussi des officines de fake news prennent le relai, et hop ! C’est parti, les signatures affluent. Un soutien aux victimes, la défense d’une cause généreuse, une prise de position politique, tout cela est bien. Mais il y a aussi l’anathème personnel, souvent invérifiable qui finit en délation, lynchage médiatique.

Dans notre cas, on peut imaginer que le choix de Sylvain Tesson a été effectué par des gens responsables du Printemps des Poètes. Ont-ils eu raison ? Grand sujet : qui décide et qui conteste ? Comment faire vivre le débat public sans tomber dans la caricature ou le dévoiement ?

En attendant, lisons de la poésie, cela nous calmera.

Info:  Face à la cabale, Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des poètes, a préféré démissionner. « Le choix, que j’assume pleinement (…) a déclenché une cabale effarante, consternante, pour ne pas dire monstrueuse », a affirmé Sophie Nauleau dans le communiqué annonçant sa démission, le 26 janvier dernier.

Jérôme Clément

Editorialiste culture