Syrie : après la dictature, un régime autoritaire
Tandis que les Syriens célébraient le 15 mars l’anniversaire de l’insurrection contre Assad, le nouveau régime instaurait les bases d’une constitution présidentialiste aux contours autoritaires.

.Cette année, pour la première fois depuis quatorze ans, les Syriens sont descendus dans les rues un 15 mars. Cette date est à jamais gravée dans les mémoires de la population. Un jour de mars 2011 des jeunes de la ville de Deraa, ont en effet osé écrire sur un mur de la ville « ton tour viendra ». Ils visaient le dictateur Bachar El-Assad dont le clan régnait sans partage sur le pays depuis 1970. On était au début de la vague des « printemps arabes ». Les adolescents ont été recherchés, arrêtés puis torturés par la police politique du régime.
Quelques jours plus tard ils étaient libérés, les familles ont découvert leurs blessures : ce fut l’étincelle d’un soulèvement populaire vite réprimé par l’armée, puis la naissance des premiers groupes rebelles islamistes ou kurdes. Une guerre civile qui a fait plus de 500.000 victimes, poussé à l’exil une vague de Syriens jusqu’en Europe et donné un prétexte à Vladimir Poutine pour se porter au secours d’Assad en bombardant les villes insurgées. Jusqu’au départ de celui-ci, en décembre dernier, pour une datcha de Moscou.
Ce samedi 15 mars, les Syriens étaient dans les rues pour exprimer leur soulagement, les manifestations avaient une allure de « défilé de la victoire » pour le nouveau régime. Des hélicoptères tournaient au-dessus de Damas, ils déversaient des tracts : « Il n’y a pas de place pour la haine parmi nous ».
Il n’y a pas une semaine, c’est pourtant la vengeance qui a entraîné la répression sauvage des quartiers alaouites dans l’ouest du pays. A la suite d’un guet-apens monté par des partisans d’Assad contre les hommes de Damas, un ratissage a eu lieu où les nouvelles forces de sécurité, épaulées par d’anciennes milices islamistes, ont déversé leur haine contre cette communauté hier pilier du régime Assad. On a dénombré plus de 1300 victimes. Un coup de semonce qui pouvait ruiner la concorde promise par le président intérimaire Ahmed Al-Charaa.
Depuis, Al Charaa avance à marche forcée. Après les tueries visant les alaouites il a voulu montrer qu’il ne laisserait pas la Syrie se disloquer dans les conflits ethniques ou religieux. Mazloum Abdi, le leader kurde des Forces Démocratiques Syriennes qui contrôle le nord-est du pays s’est rendu à Damas. Il a signé avec le président intérimaire un document sur l’intégration dans le nouvel État de toutes les institutions de l’administration autonomes kurdes. Il ne s’agit pas vraiment d’un accord, plutôt une feuille de route. Les dirigeants kurdes du FDS ne vont pas dissoudre leurs structures, ils ont plutôt en tête une forme de coordination permanente avec l’administration de Damas.
Ahmed Al-Charaa a enchaîné avec une autre séquence très médiatisée : la publication jeudi 13 mars d’une déclaration qui fixe le cadre de la future constitution syrienne, un chantier qui s’achèvera dans cinq ans par des élections. Sans surprise le texte met à la poubelle les lois d’exception de l’ère Assad et prévoit la mise en place d’une justice de transition pour les victimes de l’ancien régime.
En filigrane ce document fait surtout apparaitre le profil politique de la future Syrie : une cour constitutionnelle – sept membres nommés par le président intérimaire – sera mise en place pour travailler avec une assemblée populaire à la définition d’un appareil législatif. Le texte signé par Ahmed Al-Charaa stipule que la jurisprudence islamiste sera la principale source de ce travail législatif.
« C’est le minimum qu’Al-Charaa pouvait faire. Cette référence au droit islamique est fondamentale, c’est le cœur de son idéologie, souligne le directeur de l’Institut de recherche Méditerranée-Moyen-Orient, Jean-Paul Chagnollaud. Il ajoute : « ce texte reste malgré tout une boîte noire. Il organise une forme de présidentialisme assez fermé, puisqu’il détient presque tous les pouvoirs, il est le chef des armées. C’est l’élément central de ce processus car lorsqu’on reprend dans une situation pareille, la clef, c’est d’avoir le monopole de la violence physique légitime. Il lui fallait ce rapport au droit, sinon il était lui-même déstabilisé ».
Le délai de cinq ans pour une élection législative telle que le pays n’en a jamais connu va sembler une éternité pour de nombreux Syriens. Le danger, c’est que le tombeur de Assad aura eu tout le loisir d’apparaître comme le « Raïs naturel » dans un pays entièrement à refaire.