Syrie : méfions-nous…

par Laurent Joffrin |  publié le 08/12/2024

Assad est tombé : ce n’est que juste châtiment pour un boucher sanguinolent et soulagement pour les Syriens. Mais est-on si sûr de l’innocuité de ceux qu’on nous présente comme des « islamistes modérés » ?

Laurent Joffrin

On se réjouit de la chute de Bachar El Assad. On a raison. Ce tortionnaire à tête de comptable, qui a plongé son peuple dans un malheur sans nom après l’avoir systématiquement bombardé, était une honte de l’humanité. Depuis des décennies, il maintenait son pouvoir en vie par l’accumulation des tueries, appuyant son mode de vie de satrape dégingandé sur une bande d’exécuteurs impitoyables et corrompus. Et dire qu’un président français, se croyant un génie de la realpolitik, l’avait invité à assister au défilé du 14 juillet, censé célébrer l’avènement des droits de l’Homme !

Affaibli par le printemps arabe, Assad a survécu par la répression, mais aussi en raison de la pusillanimité de Barak Obama. Prêt à intervenir aux côtés des États-Unis pour punir un dictateur usant d’armes chimiques contre ses compatriotes, François Hollande avait lucidement décidé de frapper le tyran. Le président américain a reculé au dernier moment devant une intervention qui aurait pourtant pu faire basculer le sort de la Syrie.

Ce que les démocraties n’ont pas voulu faire, les rebelles syriens l’ont donc réalisé. Ils démontrent que les dictatures, sans légitimité ni soutien populaire, sont le plus souvent des régimes fragiles. Mais ces rebelles sont aussi des islamistes : voilà le problème. On les dit « modérés ». Mais qui n’a compris que cet adjectif qu’on leur accole débouche sur un oxymore ? Le nouveau pouvoir se recommande, non de la tolérance ou de la liberté, mais de la charia. Est-ce rassurant ? Il montre patte blanche, certes, mais partout ses homologues alimentent le terrorisme et oppriment leur population. Du coup, les interrogations suscitées par cette victoire sont redoutables.

Un peu de mémoire : les mêmes manifestations de joie qu’on observe à Damas ont entouré naguère la chute de Najibullah en Afghanistan, de Saddam Hussein en Irak, de Kadhafi en Libye, de Moubarak en Égypte ou de Ben Ali en Tunisie. À chaque fois, il s’en est suivi de cruelles déceptions : guerre civile, montée en puissance du djihadisme ou victoire électorale de l’islamisme suivie d’un retour à la dictature. On serait prudent à moins.

Les vainqueurs de Damas font des gestes rassurants et multiplient les bonnes paroles. Acceptons-en l’augure. Mais est-on sûr qu’ils sont prêts à garantir la sécurité des minorités religieuses en Syrie, celles qu’Assad ménageait par calcul ? Issus de l’intégrisme sunnite, sont-ils portés à l’indulgence envers les autres courants ? Et envers les femmes, auxquelles la charia, on le sait, ne sourit guère ?

Quel sort, enfin, pour le peuple kurde, allié fidèle des démocraties dans la région ? Les nouveaux maîtres de la Syrie sont liés, de près ou de loin, à la Turquie, laquelle est obsédée par la dissidence du PKK. Ainsi les valeureux combattants kurdes, qui ont joué un rôle décisif dans la lutte contre Daesh, se retrouvent, politiquement et géographiquement, pris entre le marteau turc et l’enclume islamiste. En cas de malheur, les démocraties viendront-elles à leur secours ?

Pas un instant, on l’a compris, il ne faut regretter, en quoi que ce soit, le régime d’Assad. Mais face à l’avènement de ces « islamistes modérés », on aurait grand tort de jouer les naïfs.

Laurent Joffrin