Taïwan : vivre sous l’œil de Pékin

par Malik Henni |  publié le 05/04/2024

Inquiet de la menace permanente du géant chinois, effrayé par l’exemple de Hong-kong, Taïwan, stoïque, vit et résiste dans l’ombre de la guerre

Taïwan - Photo Malik Henni / LeJournal.info

À Taipei, vibrante capitale de la République de Chine, l’urbanisme s’étend harmonieusement entre ses larges boulevards qui quadrillent la ville. Les gratte-ciels modernes se mêlent aux modestes maisons ravagées par l’humidité du climat subtropical. La crise du logement a conduit les habitants à élever des étages supplémentaires et à réinventer leurs balcons en espaces de vie, protégés par des barreaux aux fenêtres. Au cœur de cette scène urbaine se dresse la « Taipei 101 », l’une des plus grandes tours du monde, symbole de la prospérité économique de l’île. Baignée dans la brume, elle est parfois aussi dure à distinguer que le futur incertain de l’île démocratique.

Depuis l’élection du progressiste Lai Ching-te le 13 janvier dernier, le climat politique s’est apaisé. Si les incursions d’avions militaires chinois demeurent relativement fréquentes, les provocations officielles semblent momentanément suspendues. Les manœuvres militaires et les tentatives de déstabilisation se révèlent pour l’heure vaines : le candidat du Guomindang favorable à un rapprochement avec la Chine a perdu la présidentielle et le fossé se creuse entre les habitants de l’île et ceux du continent.

Hong Kong fait figure de repoussoir pour les Taïwanais. La Chine n’a pas respecté son engagement de respecter l’autonomie de la « Zone Administrative Spéciale », et le « mouvement des parapluies » a échoué à lui faire barrage. L’écrasement brutal des aspirations démocratiques des Hong Kong a vacciné la majorité des Taïwanais en faveur d’un rapprochement avec Pékin. Mais le président chinois Xi a fait de la réunification chinoise sa priorité. Et ce, même si seulement 1 % des Taïwanais se considèrent comme Chinois.

La société taïwanaise est-elle prête à repousser un assaut chinois ? Le service militaire, auparavant de 4 mois, a été rallongé à 1 an. Mais comment les 88 000 soldats taïwanais pourraient-ils faire face à un million de soldats communistes ? De plus, les effectifs ne vont pas s’améliorer. Taïwan affiche l’un des taux de natalité les plus bas du monde : 0,9 enfant par femme. Même si tout est fait pour rendre la société agréable aux familles : tous les espaces publics sont dotés de salle d’allaitement et les allocations familiales sont généreuses. Mais la participation active des femmes sur le marché du travail et leur refus de plus en plus partagé du mariage maintient ce taux très bas.

Faut-il rester à Taïwan ou envisager une porte de sortie ? Assise devant un plat de tofu odorant dans un marché nocturne baigné par la lumière des néons, Julia, étudiante en finance, privilégie la sécurité : « J’aimerais obtenir un visa permanent dans un autre pays, juste au cas où ». Elle souhaite également profiter de ses voyages à l’étranger pour faire découvrir son pays. La culture taïwanaise, méconnue à l’étranger, souffre de la comparaison avec ses voisins coréens et japonais.

Le 20 mai prochain, Lai Ching-te prêtera serment, et Tim, étudiant en médecine, craint des provocations chinoises à cette occasion. Jusqu’à la guerre ? : « Peut-être dans 10 ou 15 ans, mais pas tout de suite ».

Malik Henni