Tapie en gloire
La série de Netflix dresse un portrait saisissant du « faiseur de fric » le plus célèbre de France, pour un film réussi. Presque trop…
Excellente série, bien jouée, bien écrite, bien filmée… Tristan Séguéla et Olivier Demangel (le scénariste de Novembre), signent un opus digne des meilleures productions Netflix, juste et drôle, avec un Laurent Laffitte qui ressuscite qvec maestria le héros paradoxal des années 80 et 90, symbole fascinant et usurpé du succès à la française : Bernard Tapie.
La famille, dit-on, n’a guère goûté l’exercice. On la comprend : rien n’est celé des failles et des turpitudes du personnage, des déboires coupables de sa jeunesse aux tricheries flamboyantes de sa carrière publique. Tapie, chanteur sans succès, créateur d’entreprise qui échoue, Tapie repreneur d’entreprise qui s’enrichit sans précaution, coach sportif surdoué, ministre tonitruant, un temps homme politique promis à la mairie de Marseille et, peut-être même, disait-on, à la présidence de la République, sur les traces d’un Berlusconi dont il avait repris les méthodes clinquantes et populistes.
Et aussi Tapie bateleur et menteur, funambule du redressement de boîtes en faillite, milliardaire assis sur une montagne de dettes, showman d’une redoutable intelligence et d’une audace de joueur de poker. On ne peut guère accuser les auteurs de complaisance : ils ont l’art du portrait, la précision de l’enquêteur, l’honnêteté du conteur arrimé à la vérité.
Création réussie, donc. Mais presque trop. On connaît bien la mécanique de l’identification. Comme l’expliquait Hitchcock, on peut prendre le pire personnage, voleur ou criminel : s’il tombe et se relève, s’il est en butte aux plus cruelles épreuves, mais qu’il se bat, il emporte l’adhésion du public. Tapie jouait sans cesse de ce ressort dramatique vieux comme la fiction.
Il n’avait pas les codes, il était autodidacte, il venait d’un milieu de banlieusards modestes et laborieux : il était le malpoli issu du peuple que l’establishment ne pouvait tolérer longtemps. Avec son élégance habituelle de langage, il affectionnait cette parabole : « dans une rame de métro, il y a trois bourgeois et un prolo ; si quelqu’un pète, c’est toujours le prolo ».
Il était donc le prolo, alors qu’il a toujours, ou presque, vécu dans un hôtel particulier, volé en jet privé, navigué sur un yacht au luxe tapageur, passé ses vacances dans une villa majestueuse. La série rend ainsi sympathique – et presque héroïque – le faux symbole de la créativité patronale, lui qui fut avant tout un pilleur d’épaves, le directeur de club qui achète les joueurs adverses, l’ambitieux élu sans convictions qui affronte Le Pen, adoubé par un Mitterrand retors qui se sert de lui comme d’un bélier contre la droite ou contre Michel Rocard dans une fameuse élection européenne.
Un produit des pires dérives individualistes des années 1980, un poulain incontrôlable du président vieillissant, un financier cynique et astucieux qui termine ruiné et laisse sa femme sur la paille, après avoir manié des milliards qui, en fait, ne lui appartenaient pas. Le héros en stuc, somme toute, trouve dans la série Netflix une consécration posthume qui change un faiseur plein de gouaille et dénué de scrupules, en modèle fallacieux de la réussite entrepreneuriale.