Théâtre en Avignon: oubliez votre texte!
Produit dérivé d’une création audiovisuelle, sans intrigue et enjeu dramatique, performances et transpositions d’images… Avignon nous pose, dérangeante et têtue, la même question : qu’est-ce que le théâtre ?
Retour dans la Mecque du théâtre après ces quelques années sans, pandémie aidant. Du monde, toujours. De la chaleur, ah oui un peu plus, et tous ces jeunes gens qui vous arrêtent, dans la rue, au restaurant, partout, pour vous attirer voir leur spectacle. Apparemment rien de changé. Apparemment…
Trois spectacles, c’est trop peu évidemment – pourtant me conduisent à une interrogation : « Welfare », de Julie Deliquet dans la cour d’honneur, adaptation du documentaire de Wiseman ; « Kono atari no dodoka » de Martine Pisani et Michikazu Matsune et Angela » de Susana Kennedy.
Dans les trois cas, le texte n’est pas à l’origine du spectacle. D’abord, la vie d’un centre social aux États-Unis, dans le premier cas, documentaire audiovisuel de 1975 de Frederic Wiseman . Second spectacle : ; la vie d’une chorégraphe française, dans le second spectacle, atteinte de maladie invalidante, présente sur scène, et d’un jeune Japonais, qui raconte, avec des images et des petites scènes, la vie de Martine Pisani. Enfin, une mise en scène de la vie moderne, récit d’une femme malade envahie par internet et les réseaux sociaux, les images et les fantasmes, étrange spectacle entre le virtuel et le réel, métaphore de notre époque dérangeante par une artiste allemande .
Je suis sorti de là perplexe. Certes, j’ai été touché par la poésie narrative et évocatrice du spectacle franco-japonais, et intrigué par les soubresauts maladifs de l’actrice d’Angela, intéressé aussi par les acteurs de Julie Deliquet. Je n’ai pas compris en revanche ce qu’apportait le théâtre à la transposition de personnes réelles exprimant leur souffrance et si bien filmées par Wiseman dans son documentaire.
La cour d’honneur, produit dérivé d’une création audiovisuelle ? Où sont l’intrigue et l’enjeu dramatique? Bien sûr, on n’est pas obligé de faire toujours référence aux grands textes du répertoire classique ou contemporain qui ont toutefois l’intérêt de poser les éternelles questions, toujours d’actualité du pouvoir, de l’amour, de la mort ou des Dieux .
Après tous ces metteurs en scène français, allemand ou japonais nous parlent, eux, des questionnements d’aujourd’hui et de notre monde dont les phrases bien faites et les mots ouvragés ont quasiment disparu, présentant des performances diverses de créateurs qui cherchent à raconter leur perception du monde, essais de transposition d’images qui ont tout envahi.
Je ne sais pas si le spectateur y trouve son compte, mais il comprend à travers ces tentatives que le théâtre a changé et que les artistes le perçoivent, cherchant avec le public à exprimer angoisses, doutes ou bonheurs de notre temps.
Qu’est-ce que le théâtre, sinon une représentation du réel sur une scène avec des interprètes qui nous proposent leurs émotions ou réflexions de leur époque et pas seulement celles des auteurs classiques grecs, anglais, allemands ou français. Même si les questions fondamentales du destin humain sont toujours au cœur de toutes ces expressions théâtrales de Sophocle à Suzanne Kennedy. Oui, qu’est-ce que le théâtre ?
C’est la première saison de Tiago Rodrigues, nouveau directeur du festival d’Avignon. On peut aimer ou non ses choix et penser avec nostalgie au Cid ou à Richard II, mais c’est précisément la grandeur et le rôle d’un si grand festival comme l’est resté Avignon de nous surprendre ou de nous agacer, en tous cas de nous remettre en question en nous obligeant à réfléchir sur nous-mêmes, grâce à ces œuvres si déconcertantes, dérangeantes, complexes dans leur écriture et leur interprétation.
Qu’est-ce que le théâtre ? Avignon pose toujours la même question…