Danse avec le loup

par Sandrine Treiner |  publié le 24/09/2023

Le phénomène du « dance floor » envahit les réseaux : face caméra, un enfant et un adulte réalisent un duo intergénérationnel. Charmant ou ambigu ?

Vingt-cinq ans après la publication de L’Inceste, de Christine Angot, nouveau coup de tonnerre dans les librairies en cette rentrée littéraire avec Triste tigre, de Neige Sinno. Dans ce livre, l’autrice raconte sans détour la violence sexuelle exercée sur elle durant des années par son beau-père.

Dans le même temps, un film, celui de Catherine Breillat, L’Été dernier, fait le récit d’une relation incestueuse entre belle-mère et beau-fils. Et l’actrice Emmanuelle Béart témoigne de ce qu’elle a subi dans un documentaire. Les œuvres culturelles auront donc été essentielles dans la levée progressive du tabou. 

C’est un tout autre phénomène culturel que l’on pourrait juger totalement anecdotique – et somme toute très charmant  – qu’on relève quand on « scrolle » les réseaux sociaux et singulièrement TikTok. Petit rappel pour ceux qui n’en sont pas adeptes : avant d’œuvrer activement à la diversification de ses contenus, Tik Tok est devenu le réseau préféré des collégiens et lycéens en proposant un « dance floor » permanent : des vidéos courtes de chorégraphies enregistrées par des jeunes dans leur chambre.

Mais ce qui est en train de s’imposer comme un genre en soi, c’est la vidéo de danse inter-generationnelle. De quoi s’agit-il ? Du mélange des genres précisément. Une mère et son fils, un père et sa fille, parfois même un grand-parent avec son petit-enfant. Le principe ? Une petite « choré » interprétée côte à côte, de concert, sur une musique endiablée.

L’adulte et l’enfant, même sourires radieux, habillés généralement de façon identique, code couleur et tenue décontractée, exhibent, face à la caméra, une complicité très physique et parfois assez sexuée.

Sympa et innocent ? Pas sûr ! L’abolition des barrières entre les générations n’a rien d’anodin. Danser entre amis, quoi de plus banal. Le faire à deux et en famille, c’est autre chose. D’autant que tout est fait pour atténuer la différence des âges. Cette mode des enfants et parents qui dansent ensemble est une forme de défi « soft « face à l’interdit : il le bouscule. Et nous avec, qui nous trouvons face à un spectacle dont on sent bien qu’il véhicule l’ambiguïté d’une mise en scène de l’inceste.

Il y a quelques années, le fils d’une amie reprochait à la génération de ses parents, à nous donc, de suivre les modes vestimentaires de leurs enfants, et de vouloir leur ressembler, en abolissant la distance nécessaire. Il n’avait pas tort.

Sandrine Treiner

Editorialiste culture