Tokyo : lycéennes à louer

par Malik Henni |  publié le 31/05/2024

Derrière ce phénomène des Geishas des temps modernes se cachent… des gamines en uniforme scolaire qui attendent le client devant les bars de la ville

Shuterstock

Le touriste qui se rend dans le quartier tokyoïte de Kabukicho ne manquera pas d’y trouver tout ce pour quoi il a enduré tant d’heures de vol : des bars et des restaurants animés, des rues propres éclairées au néon et sous ces derniers, des (très) jeunes femmes en uniforme de lycéenne.

Au Japon, les bars à hôtesse sont des institutions dans les grandes villes. Le business model est simple : de jolies filles appâtent le chaland, le plus souvent un employé épuisé par une journée de travail et pas pressé de rentrer dans son petit appartement où personne ne l’attend. Là, comme des « geishas des temps modernes », elles leur font la conversation et les distraient en leur faisant consommer un maximum. Il n’est pas rare d’y voir des hommes y dépenser jusqu’à 50 000 yens (environ 300 euros) en une soirée pour des femmes qui poussent le jeu jusqu’à… faire semblant d’être amoureuse.

Jusque-là, la loi de 1957 sur l’interdiction de la prostitution est respectée. Mais dans ces établissements liés le plus souvent aux yakuzas, la frontière demeure floue : la proximité des loves hôtels et l’absence de volontarisme de la police avait tendance à favoriser les relations charnelles tarifées. Car pour les autorités, une femme qui se prostitue ne saurait le faire sous la contrainte, mais uniquement par nécessité.

Or, beaucoup de ces femmes sont en vérité des victimes des réseaux de trafic d’êtres humains, sans papiers, empêtrés dans une spirale infernale de dette et l’impossibilité de travailler légalement. D’autres viennent de la campagne après avoir été trompés par des promesses alléchantes sur les réseaux sociaux.

Se développe depuis une dizaine d’années un phénomène inquiétant : la prostitution des lycéennes, via ces canaux modernes justement. Inspirée de la pratique de « l’enjo kousai » (« aider et sortir ensemble »), comparable au « sugar daddy » occidental, qui se compose d’une relation (sexuelle ou non) entre une jeune femme et un homme bien plus âgé qui paye pour des sorties. En 2015, le gouvernement japonais avait piqué une colère à la publication d’un rapport de l’Unicef qui dénonçait « le laxisme » des autorités face à cette pratique qui cache en réalité une prostitution des mineures en augmentation depuis la fin des années 2000.

En témoigne la question de l’âge de consentement des mineures : inchangé pendant 110 ans, il a enfin été relevé de 13 à 16 ans… l’an dernier. Le contexte post-MeToo a également permis d’élargir la notion de viol : un père de Nagoya avait été relaxé en première instance en 2019 après avoir violé sa fille de 19 ans, car celle-ci n’aurait pas assez résisté. Dans un pays où l’éducation sexuelle n’est pas enseignée à l’école, à la demande expresse du ministère de l’Éducation, les potentielles victimes ont plus de difficulté à comprendre que ce qu’il leur est arrivé est répréhensible par la loi.

Mais d’où vient ce fantasme de la lycéenne, jupe courte et air innocent ? Cette tendance n’est pas propre au Japon. Gageons qu’en France, les récents scandales de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs impunis de la part de l’intelligentsia germanopratine montrent qu’aucun pays n’est épargné. Cependant, l’absence de régulation des contenus sexuels violents et explicitement pédopornographiques dans les animes et les mangas en ligne favorisent une culture de la prédation dont les adolescentes sont victimes. Le Japon, classé 125ème en terme d’égalité homme-femme a encore du chemin à parcourir : on estime qu’entre 1 et 2 % des violeurs sont finalement condamnés.

Malik Henni