Tous des violeurs ?

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 03/10/2024

La banalité des accusés du procès de Mazan soulève une question : sont-ils représentatifs de la société masculine tout entière ? Oui et non…

Les militantes féministes à Nantes, le 14 septembre 2024. Rassemblement en soutien à Gisele Pelicot, victime de viols depuis 10 ans. (Photo de Maylis Rolland / Hans Lucas via AFP)

Les hommes sont-ils tous coupables ? A l’effarement de voir une cinquantaine d’hommes « ordinaires » accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot inconsciente et livrée par son mari à des individus recrutés sur internet a succédé une interrogation : tous les hommes peuvent-ils être considérés comme des violeurs en puissance ? « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère », disait La Fontaine. Si tu n’a pas encore violé, tu le feras peut-être. Toute la gent masculine serait atteinte par capillarité d’un mal qui imprègne la société : la « culture du viol ». Une formule choc utilisée par les féministes et qui suscite le débat.

« Le grand procès fait à la masculinité rate sa cible, estime la philosophe Sylviane Agacinski. Le viol n’est pas l’effet de la virilité mais sa honteuse perversion ». A quoi la sociologue Irène Théry répond : « Le viol d’opportunité est au centre de l’enjeu sociétal du procès de Mazan. Le viol repose sur un vieux socle machiste qu’il est grand temps d’éradiquer » En un mot, tous les hommes ne sont pas coupables, mais tous sont responsables…Les accusés de Mazan ne constituent pas une France en miniature, mais en raison des préjugés répandus, de la persistance des stéréotypes hérités, la société n’a rien fait pour les décourager, au contraire. S’ils se sont cru tout permis, c’est que des siècles de domination masculine ont conduit à considérer le corps des femmes comme des objets à disposition. Cela laisse des traces.

On connaît les statistiques : environ cent mille viols déclarés par des femmes chaque année, moins de 1% d’hommes condamnés. Le crime se double de l’impunité. Une situation qui révolte les femmes longtemps condamnées au silence. Aujourd’hui elles crient leur colère, s’expriment à la faveur du mouvement @Metoo, font des haies d’honneur à Gisèle Pélicot à l’audience matin, midi et soir, réclament sur tous les tons qu’on en finisse avec une soumission millénaire à l’appétit sexuel des hommes. Sur le banc des accusés, une coupable invisible doit répondre de ses ravages : la fameuse culture du viol, qui rendrait tous les hommes capables du pire.

Dans cette expression il y a deux mots. Le mot viol, qui peut choquer : tous les hommes ne sont pas des violeurs, loin de là. La plupart condamnent le crime et approuvent sa répression. Mais il y a le mot culture. Et, là, il est évident que tous les hommes baignent, depuis leur plus tendre enfance, dans un terreau culturel où règne la domination masculine. Dès l’école, ils sont les rois : la cour de récréation est confisquée par les garçons et les enseignants les sollicitent davantage que les filles pendant les cours. L’éducation peine à la combattre : pas d’éducation sexuelle, le porno école du crime sexuel, la violence banalisée sur internet, l’absence de réponse sérieuse des pouvoirs publics.

On pouvait espérer qu’après Metoo, la situation s’améliorerait. Hélas, les violences sexuelles explosent, les féminicides continuent, les sanctions sont trop rares et une certaine lassitude saisit une partie de l’opinion sur ces sujets : cela s’appelle la « gender fatigue », notion accompagnée par le « backlash », phénomène qui voit certains hommes, de plus en plus nombreux, s’exaspérer contre les revendications féministes.

Certes, les femmes ont gagné des droits : celui de voter, de travailler dans tous les secteurs, de contrôler leur fertilité. Mais celui de dire « non » à un prédateur est encore incertain. Trop d’hommes abusent de leur situation de pouvoir physique, psychologique ou social pour assouvir leurs appétits sexuels sans le consentement réél de leur victime. Le viol conjugal n’a été juridiquement reconnu qu’en 1990. Combien de femmes cèdent encore sans désir aux demandes de leurs compagnons « pour ne pas avoir de problème » ? Les lois ne changent pas les mœurs aussi vite qu’on pourrait le souhaiter. Le sexisme reste très présent dans la société, y compris, voire davantage, dans les jeunes générations (les études le prouvent, comme celle du dernier rapport du HCE sur la question). Le sexisme faisant le lit de la violence dans un « continuum » établi par les chercheurs, il est logique qu’il contribue à perpétuer une « culture du viol » qui devrait être d’un autre âge.

Il n’est pas question de soupçonner la moitié de la population du pire. Les hommes doivent en revanche se saisir de la question. Montrer un peu plus de bonne volonté pour appliquer les lois et éduquer les Français à une culture du respect. Ni guerre des sexes, ni condamnation en bloc. Mais un peu plus d’équilibre dans les rapports entre les femmes et les hommes. Le procès de Mazan est une occasion, à ne pas manquer, de faire avancer l’égalité.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse