Transnistrie : Poutine joue l’escalade

par Emmanuel Tugny |  publié le 29/02/2024

Après le Donbass, creuset de la guerre d’aujourd’hui, la Transnistrie, territoire russifié au cœur de la Moldavie, appelle le grand frère russe « à l’aide ».

Quartier général du groupe opérationnel des troupes russes dans la ville de Tiraspol, capitale de la Transnistrie, région séparatiste pro-russe de Moldavie située à la frontière orientale avec l'Ukraine - Photo Sergei GAPON / AFP

« L’Histoire repasse pas les plats ! », disait Céline. Voire… En 1920, « l’irrédentisme » de Trieste en entraîne l’annexion par l’Italie. L’appel au secours du Parti allemand des Sudètes qui, à partir de 1935, réclamait leur rattachement au Reich, débouche bientôt sur le défilé de ses troupes à Prague.

« L’Anschluss » de 1938 vaut réponse d’Hitler aux appels à l’aide fervents de l’Autriche à rejoindre le Reich. En septembre 1939, la Pologne « étouffe » à ce point ses communautés allemandes qu’elles convainquent le philanthrope de Berlin d’y faire irruption.

Cela « repasserait plus » ?

En 1998 est venu le Kosovo, en 2008 la Géorgie, en 2014 la Crimée, en 2022 le Donbass, avec toujours les mêmes recettes : nationalités martyres aux frontières, appel au grand frère ethnique, culturel et linguistique, compassion, soutien, invasion, annexion…  Tiens, voici que la Transnistrie appelle Poutine à l’aide.

Carte. Idé

Rappel. La province de 4163 km2, située sur la rive occidentale du Dniestr, fut concédée en 1992 par Moscou à la Moldavie, pays en voie d’adhésion à l’UE, après une courte guerre, contre un statut d’autonomie. La Transnistrie est un État indépendant autoproclamé de fait depuis la dislocation de l’URSS en 1991. Elle serait la victime expiatoire de l’oppression d’un régime de Chisinau sympathisant de Kiev.

Réunis pour la première fois depuis 2006 en congrès extraordinaire à Tiraspol, capitale de la Transnistrie, ses députés ont, par la voix du président de la Province, Krassnosselski, adressé un appel à l’aide à Moscou, à l’ONU, à l’OSCE, au Parlement de Strasbourg et à la Croix-Rouge. Ils y soulignent combien le pouvoir moldave et un harcèlement ukrainien permanent tourmentent les 220 000 Russes (sur 465 000 habitants) du territoire outragé, entre pressions physiques, linguistiques, culturelles, juridiques et douanières, calquant sans grand effort de dissimulation l’appel « antinazi » des éléments pro-Russes du Donbass dont Moscou avait excipé pour lancer son « opération militaire spéciale ».

Selon un référendum « maison » de 2006, 97 % des habitants souhaitent le rattachement de la province à la Russie. Il ne fait aucun doute qu’il en aille de la Transnistrie comme du Donbass. L’on est même surpris que la manipulation, qui vise ostensiblement l’ouverture d’un front au sud-ouest de l’Ukraine pour la conquête d’Odessa, n’ait pas été lancée plus tôt.

Les choses sérieuses ne demandent au reste qu’à débuter : 1500 soldats russes sont stationnés en Transnistrie, hôtesse d’un considérable arsenal d’armes héritées de l’URSS, et qui voit nombre de ses bataillons recevoir une formation en Russie pour l’utilisation de matériel plus récent.

Moscou qui, via Gazprom, est propriétaire de la dette de la province, n’a pas tardé à annoncer l’imminence d’une réaction, assurant que sa protection constituait pour elle une « priorité » et qu’il en allait en effet d’elle comme du Donbass.

En somme, l’Histoire a bel et bien « repassé les plats » et la Russie fait mouvement vers la création d’une rampe de lancement terrestre visant le port d’Odessa, prenant l’armée de Kiev en tenaille, sous le nez d’une Ukraine qui voudra vraisemblablement anticiper le coup.

Un nouveau front s’ouvre au pire moment pour le camp démocratique, préfaçant une escalade de la guerre en Europe, prévisible, mais pas assez prévue.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie