Trop cool, la social-démocratie !

par Laurent Joffrin |  publié le 20/08/2024

Au sein d’une gauche française incertaine et divisée, le courant social-démocrate fait naître un espoir de renouveau dont les médias et les commentateurs commencent seulement à se soucier.

Laurent Joffrin

Qui l’eût cru à part nous ? La vieille social-démocratie qu’on disait obsolète et déplacée en France suscite désormais un intérêt neuf sur la scène politique. La preuve ? Fort de son succès aux Européennes, Raphaël Glucksmann s’en fait un étendard et prévoit de relancer son mouvement Place publique à la rentrée sur des bases réformistes et audacieuses à la fois ; pour Matignon deux noms circulent dans la presse, en sus de celui de Lucie Castets présentée par le NFP : Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre respecté et rigoureux, Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, social et sécuritaire, tous deux réformistes à souhait.

Au sein du PS, Hélène Geoffroy, Michael Delafosse, Carole Delga ou Nicolas Mayer-Rossignol, dont les partisans rallient au moins la moitié du parti, tiennent une ligne politique comparable. Personnalité la plus populaire à gauche, François Hollande s’est fait élire haut-la-main à Tulle et s’apprête à jouer tout son rôle au Parlement, et dans le pays. Toutes ces personnalités forment une escouade désormais projetée sur le devant de la scène, qui occupent l’espace politique laissé béant par la droitisation du macronisme et l’enfermement de LFI dans un populisme agressif et stérile. Incroyable, donc, mais vrai : la social-démocratie, dont on affectait de se moquer, est devenue furieusement tendance.

Il y a quatre ans, quand nous commencions à défendre ces idées en affirmant, contre tous les analystes, qu’elles dessinaient l’avenir, que n’avions-nous pas essuyé comme sarcasmes et commentaires apitoyés (1) ? La social-démocratie ? Une idée d’un autre temps, bonne pour boomers nostalgiques au mieux. Une incongruité désuète, impossible à acclimater en France, tout juste bonne pour quelques pays européens retardataires. Le Monde, Libération, ne juraient que par la radicalité, chic par définition, tandis que d’autres étaient fascinés par la supposée modernité du macronisme.

Et voici que la gauche réformiste revient sur le devant de la scène, au sein d’une opinion lassée des outrances insoumises et des dérives macroniennes. Mieux : elle a travaillé ses idées, trouvé des synthèses utiles entre justice sociale et écologie, humanisme et sécurité, universalisme et lutte contre les discriminations ; elle s’incarne maintenant dans des personnalités reconnues dont les mérites sont mis en lumière ou bien redécouverts.

Encore faut-il que l’essai soit transformé. Ce n’est pas le tout d’apparaître enfin, il faut formuler un projet et définir une stratégie, toutes choses qui sont encore dans les limbes. Une étape a été franchie, une longue route commence, avec maints obstacles en perspective. Tout cela déclenche évidemment l’ire de LFI et des pénitents pusillanimes qui l’entourent au sein du Front Populaire, dont il est temps de se dégager, comme le dit justement Glucksmann. À vrai dire, c’est plutôt bon signe. On ne se pose qu’en s’opposant. La lutte contre la démagogie ne fait que commencer à gauche. On ne la gagnera qu’en proposant un projet d’espoir et de transformation sociale. Enfin, les vraies difficultés commencent.

(1) Voir notamment les travaux du Lab de la Social-démocratie, pionnier en la matière.

Laurent Joffrin