Trump : le facteur « latino »
Les démocrates ont vu leur influence décroître parmi les Américains d’origine hispaniques au profit de Donald Trump. Une évolution vers la droite des anciens immigrés qui n’est pas propre aux États-Unis…
PAR PIERRE BENOIT
Parmi les causes de l’élection de Donald Trump, il en est une qu’on sous-estime encore : le vote hispanique. Selon un sondage du Washington Post, Kamala Harris a bénéficié de 52% du vote latino contre 46% pour Donald Trump. Quatre ans plus tôt, les mêmes communautés s’étaient exprimées en faveur de Joe Biden à 59% contre 38%.
Les « latinos » d’aujourd’hui représentent un électeur sur sept : leurs voix ont été décisives pour la victoire de Donald Trump. Après avoir promis de fermer la frontière avec le Mexique et déversé des tombereaux de haine sur les Haïtiens et les Portoricains, on aurait pu croire que Trump les ferait fuir. L’érosion de leur vote en faveur des démocrates prouve le contraire.
Il est loin le temps où César Chavez organisait les luttes paysannes des immigrés d’origine mexicaine en Californie et en Arizona. Entre les années 1970 et 1990, les Chicanos, comme on disait alors, ont contribué au développement de l’agrobusiness dans les États du Sud. A cette époque seuls les réfugiés cubains anticastristes de Miami votaient en faveur des républicains. Scrutin après scrutin, César Chavez apportait au parti Démocrate les voix des nouveaux « Chicanos » naturalisés américains.
Leurs enfants et petits-enfants font aujourd’hui partie de la classe moyenne et certains se sont installés dans les grandes villes du nord des Etats-Unis. Tout se passe comme si les latinos avaient opéré une sorte de césure entre les communautés de vieille souche bien intégrées dans le modèle américain et les migrants clandestins qui tentent chaque jour la traversée du Rio Grande. Cette façon de « fermer la porte », s’observe dans d’autres pays à forte immigration. Mais, dans la situation américaine d’aujourd’hui, les anciennes communautés latinos s’estiment lésées, elle aussi, par l’inflation qui érode leur pouvoir d’achat et, comme une bonne partie de la classe moyenne, elles ont fini par glisser en partie vers le candidat républicain.
Il faut aussi y voir une affirmation politique nouvelle dans des milieux souvent catholiques où on défend une vision traditionnelle de la famille, et, sans doute, une conception machiste de la vie sociale. Les démocrates devront tenir compte de ce virage pour relancer leur parti, tout comme ils devront le faire pour expliquer comment Donald Trump a pu enregistrer une progression dans les comtés qui comptent une forte densité d’électeurs issus de la communauté afro-américaine, à l’exception notable des femmes noires, qui ont choisi pour 95% d’entre elles Kamala Harris.
Les éléments pour comprendre l’amorce de ce basculement américain peuvent-ils nous être utile de ce côté de l’atlantique ? Avant même l’élection américaine, la nouvelle cheffe de l’opposition conservatrice britannique, Keni Badenoch, d’origine nigériane, a repris le thème de l’immigration en affirmant « qu’elle n’était pas bonne pour le pays », ajoutant même que « toutes les cultures ne se valent pas ». Apparemment, les conservateurs britanniques misent, eux aussi, sur la césure entre les anciennes couches d’immigrations pakistanaises et africaines, et les nouveaux migrants en surfant sur cette vieille antienne populiste : « fermons la porte, ils vont nous prendre du boulot ». Partout en Europe la rhétorique populiste de l’extrême droite charbonne sur le socle de l’immigration. Et les gauches européennes auraient tort de croire que les communautés issues de l’immigration, à l’instar du vote ouvrier, leur sont acquises pour toujours.