Trump : l’inculte de la personnalité

publié le 28/03/2025

Les véritables moteurs d’un président qui se vante de ne jamais lire sont l’égo et la rancœur, portés à un niveau tel qu’ils deviennent une menace pour les États-Unis et la paix du monde.

PAR SÉBASTIEN LÉVI

L'État du Colorado a retiré un portrait de Donald Trump après que le président s'est plaint qu'il était délibérément peu flatteur. Le président a suggéré que l'artiste d'origine britannique Sarah Boardman "a dû perdre son talent en vieillissant". (Photo Jason Connolly / AFP)

Deux anecdotes du trumpisme ordinaire… Quand l’état du Colorado affiche un portrait de Trump que le président ne trouve pas assez flatteur, il le dénonce dans un tweet et le fait retirer. Au même moment, des élus républicains en mal de servilité suggèrent de faire de la date d’anniversaire de Trump un jour férié, d’imprimer des billets de banque à son effigie et d’ajouter son visage aux sculptures des présidents du Mount Rushmore ! Deux incidents mineurs qui illustrent la transformation majeure subis par la démocratie américaine : peu à peu, elle se change en une autocratie fondée sur le culte de la personnalité.

Cette nouvelle réalité a deux origines : la mégalomanie de Donald Trump et son narcissisme. Ces pathologies qui risquent fort d’avoir des conséquences dramatiques non seulement pour l’avenir démocratique des Etats-Unis mais aussi pour les échanges internationaux et la paix dans le monde.

Trump avait annoncé la couleur lors de la campagne en promettant de se venger de ses ennemis personnels. C’est à l’aune de cette vindicte personnelle et de sa vision toute personnelle du pouvoir et de l’état, qu’il confond avec sa propre personne, qu’il faut comprendre beaucoup des mesures prises depuis son retour au pouvoir.
Trump a pris des décrets présidentiels visant les firmes d’avocats qui avaient instruit des procédures judiciaires contre lui, les forçant à accepter de trouver un accord léonin avec le gouvernement pour continuer à pouvoir défendre leurs clients dans des affaires impliquant l’état fédéral.

Il a ordonné une purge sans précédent au sein du FBI, avec comme cibles prioritaires des agents ayant travaillé sur des dossiers le concernant, et attaqué des organes de presse comme ABC News ou CBS News qui l’avaient critiqué, les forçant à trouver un accord avec lui.

Lorsque Trump s’en prend à l’ « état profond », les « fake news » ou les « juges gauchistes cinglés », il habille de politique ce qui n’est que sa volonté de taire toute critique envers lui. Or les institutions fédérales comme le FBI, les médias ou la justice sont aujourd’hui les seuls véritables contre-pouvoirs capables de contrôler ou d’atténuer les excès de sa politique.
Ivre de sa personne, Trump ne comprend pas l’idée de contre-pouvoir. Dans toute limite, il voit un affront personnel dont il faudra faire justice. Or ces contrepouvoirs ne valent rien si la peur bloque leur utilisation, une peur qui touche les fonctionnaires terrifiés de perdre leur emploi mais aussi les médias et les politiques. Les élus républicains qui pourraient s’opposer à Trump ne le font pas. Ils savent que toute opposition serait perçue comme une offense personnelle qui ne saurait être tolérée. C’est aussi la peur qui explique le silence des grands patrons américains, qui veulent passer entre les gouttes du protectionnisme, quitte à flatter Trump pour s’attirer ses bonnes grâces.

À rebours de toutes les normes, Trump s’en prend personnellement aux juges qui osent s’élever contre lui et rendre des jugements défavorables. Les menaces sont indirectes et triviales mais d’une clarté limpide : les juges fédéraux récalcitrants reçoivent chez eux des pizzas qu’ils n’ont pas commandées, comprenant ainsi que leur adresse est connue et leur sécurité menacée. Devant ces pratiques, le président de la Cour Suprême, quoique conservateur, a pris la parole publiquement pour défendre les juges, formulant une rare critique implicite du président américain.
Fier de son inculture – il se vante de ne jamais lire – Trump est dans la revanche permanente contre les « sachants », ce qui explique, pour partie, sa volonté de couper les budgets de la science et des universités, de reprendre en main la culture au Kennedy Center de Washington en en prenant le contrôle ou favoriser les interdictions de livres dans les bibliothèques. Il hait cette intelligentsia qui le méprise et peut désormais s’en venger tout en marquant des points politiques car cette vendetta est populaire dans une partie importante de son électorat, et parce que les universités ou les théâtres sont aussi des foyers de contestation que Trump veut intimider, puis affaiblir et enfin écraser.

La mégalomanie de Trump a aussi des conséquences sur le plan international, avec notamment son obsession d’obtenir le prix Nobel de la Paix. Tout autant que sa singulière fascination pour Poutine et sa détestation de Zelensky, qui avait osé lui tenir tête en 2019 puis dans le bureau ovale en février 2025, cette quête explique sa faiblesse devant la Russie dans des « négociations » qui sont une capitulation en rase campagne.

Cet égotisme est exploité par de véritables idéologues qui en profitent pour pousser leur vision du monde, techno-libertarienne pour Musk ou Peter Thiel, autoritaire-réactionnaire pour J.D. Vance. En flattant le président, ils parviennent à le manipuler, comme le font des dirigeants semi-démocratiques comme Netanyahu ou de purs autocrates comme Poutine. Dangereuse situation où le narcissisme pathologique d’un seul individu devient une menace pour les États-Unis et pour le monde.