Tuerie de Lewinston : same player shoot again
Après la nouvelle tuerie à Lewinston, Maine, 18 morts, on connait la suite. Prières collectives, photos et bougies, appel du président pour durcir la loi sur les armes, refus des lobbys et nouvelle tuerie. Quelle est la clé de ce mécanisme absurde ? Par Emmanuel Tugny
L’étrange intimité entre la Bible et le revolver, entre le massacre de masse (une tuerie tous les 4 jours désormais, pour un total de plus de 1000 victimes depuis 2006) et la commémoration chorale, convoquant prières collectives et ex-voto, qui atteste un rejet du raptus armé, voilà qui a intégré l’image d’Épinal des États-Unis « vus d’ici ».
Passons sur le cas des désaxés qui se rendent coupables de ces massacres, le coupable importe moins en l’espèce que le bain anthropologique auquel il ressortit.
Il est commun d’imputer à telle « logique pionnière » l’absence de complexe culturel de l’Américain pour ces armes à qui il doit indépendance, conquête et sauvegarde de territoires indociles. L’Histoire du cinéma et du roman, ont contribué à ce qu’elle hantât l’esprit du public.
Formulons ici d’autres hypothèses.
Rappelons que l’émigration dont est issue la population américaine était constituée de proscrits, proscrits légaux, proscrits économiques : proscrits. Non qu’il y ait quelque détermination ontologique à ce que le proscrit soit un féal du fusil, mais ceci : les différentes insécurités vécues sur leur terre d’origine par ceux qui devinrent les « Yankees » n’ont pas contribué à ce qu’ils eussent au cœur la condamnation de l’autodéfense.
Le pays, majoritairement protestant (48 % de la population), émarge à une lecture de la Bible favorable à la propriété privée, à la prospérité acquise et au développement du bien propre : défendre la richesse conquise, voilà qui n’est en contravention ni de l’exégèse réformée ni de la « culture » qu’elle façonna. Ajoutons que le réflexe obsidional du protestantisme, religion martyre, croît en ce contexte multiculturel où l’autre est volontiers assimilé à une menace sur le patrimoine de « talents » chèrement cultivé.
En sus, le maillage du pouvoir central est fort « lâche », aux États-Unis : le fédéralisme y est chéri par un citoyen qui le juge un degré zéro du fonctionnement de la Cité et la condition de son affranchissement d’un « communisme » fantasmé ; voilà qui est de nature à encourager l’autodéfense ; en effet, la liberté vis-à-vis de la centralité étatique a un coût : où elle règne, il faut faire la loi chez soi.
Si l’armée américaine fut longtemps réduite à l’étiage de bataillons rêveurs, l’armée « décentralisée » des sicaires d’Amérique y fut toujours abondée de volontés de pallier la carence de « défense nationale ». Le rejet de l’État central a d’ailleurs pour conséquence le fait que l’électeur américain adhère toujours plus volontiers à l’idée de « la loi chez soi » qu’à celle de « gendarmerie du monde ».
En un mot, n’en déplaise à l’eurocentriste qui voit dans l’Américain un Européen d’outremer, l’Histoire singulière de ce peuple, l’idiosyncrasie de la Cité qu’il a fondée depuis cette Histoire, en font tout autre chose, étranger, qu’il convient d’observer comme tel.