Tunnel du Lyon-Turin: «rebouchez le trou !»
Ou comment instrumentaliser politiquement un projet et son chantier pharaonique sans rien connaître du dossier technique…
« On pourrait le reboucher ce trou », disait Jean-Luc Mélenchon ce dimanche 18 juin sur BFM TV au sujet du tunnel en cours de chantier à Saint-Jean-de-Maurienne. Cette petite phrase du jour pourrait être cocasse, si elle n’était pas le signe d’une étrange époque.
Elle ne fait pas rire Evelyne, militante communiste et encore moins son mari cheminot retraité arrivé en Savoie en 1995, précisément pour travailler à la construction de la nouvelle ligne Lyon-Turin. « À l’époque » se souvient-elle, « les écologistes étaient favorables à ce projet, parce qu’il permet de réduire le trafic des camions qui polluent toute la vallée. Et puis, il y a une dizaine d’années, ils ont changé. Maintenant, ils veulent réduire les quantités de marchandises échangées. Moins de marchandises, moins d’infrastructures. Au nom de la décroissance. »
Cet argument n’est pas le premier mis en avant par les militants environnementaux de part et d’autre de la frontière. Outre le coût budgétaire qui pèse sur la France et l’Italie avec le soutien de l’Europe, inquiets des répercussions écologiques des chantiers, ils mettent aussi en cause sa pertinence. Pourquoi creuser un nouveau tunnel alors que la ligne actuelle est sous-utilisée ? À cause de la faiblesse du trafic, explique les techniciens.
Le tunnel du Fréjus n’est pas assez large pour faire passer les gros chargements. Et la réglementation qui a suivi l’incendie du tunnel du Mont-blanc en 1999 ne permet plus à deux trains de se croiser en même temps.
Par ailleurs, la nouvelle ligne passera à la base de la montagne, là où il n’y a pas de pente. Actuellement, le trafic c’est deux trains par heure maximum et quatre locomotives sont nécessaires pour tirer et pousser un train chargé – deux à l’avant, deux à l’arrière. Quid du risque d’assèchement des sources, des conséquences pour la biodiversité et des nuisances multiples liées au chantier ?
« Quand une source a été tarie, les opérateurs ont fait en sorte d’en trouver une nouvelle. Les habitants subissent des nuisances parce que c’est un chantier, mais dans leur grande majorité ils sont favorables à cette nouvelle ligne. En Maurienne, on a le plein emploi ! Et des recrutements ont lieu dans toute la région. Des salariés viennent de Vénissieux, Villeurbanne, et même Dijon ! ».
À cela s’ajoute un élément imparable d’un point de vue social et environnemental : compte tenu des objectifs d’augmentation du fret ferroviaire entre Lyon et Turin, sans cette nouvelle ligne, les trains du quotidien ne pourraient plus circuler.
Or, la bascule de l’avion vers le train est très nette sur l’axe Paris-Milan. La SNCF ne craint pas la concurrence de l’italien Frecciarossa et les trains sont bondés. Alors pourquoi cette manifestation, maintenant ? Parce que tout projet de grands travaux déchaîne désormais les passions quels que soient les enquêtes publiques, les concertations et les avis des instances compétentes ?
Parce que le gouvernement Meloni lance la dernière étape d’un chantier qui avait été mis en suspens par le gouvernement 5 étoiles ? Parce que le Conseil d’Orientation aux Infrastructures (COI) français a rendu un avis défavorable à la mise en chantier des voies d’accès au tunnel, avis qui pourrait conduire à terme à un retard de 10 ans minimum sur le calendrier prévu de mise en service de la ligne ?
Et si cette manifestation avait pour objectif de faire pression sur le gouvernement et de faire parler d’elle ? Pression inutile, manifestement. L’avis du COI ne concerne pas le tunnel de base dont le forage est déjà bien avancé, il concerne la création d’une série de tunnels en amont (les voies d’accès au tunnel de base) qui éviteront l’engorgement entre Lyon, Aix-les-Bains et Saint-Jean-de-Maurienne. Les quatre tunneliers en construction (sur mesure pour le tunnel) seront acheminés à la fin de l’année. Saint-Jean-de-Maurienne a changé sa gare de place et investi dans son propre réaménagement.
Tout est prêt. N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon. Le tunnel de base du Lyon-Turin verra le jour en 2032, soit 16 ans après celui du Gothard en Suisse dont le projet pourtant avait été décidé au même moment. Les Suisses seraient-ils moins soucieux de sécurité environnementale et de démocratie directe que nous ?