Turquie : la défaite du sultan
Sévèrement battu aux élections municipales, Erdogan paie son échec économique et son autoritarisme
La défaite historique de l’AKP, le parti du président Erdogan, aux élections municipales sonne comme un séisme. Première déconvenue depuis 20 ans, elle montre que la Turquie demeure une démocratie, certes imparfaite, mais qui résiste à l’autoritarisme de celui qui se rêvait sultan ? Tour d’horizon.
Cumhuriyet, le quotidien d’opposition régulièrement pris pour cible par le gouvernement prend la mesure de l’évènement et titre : « une victoire historique ».Le Parti républicain du peuple (HDP), formation kémaliste de centre-gauche, a obtenu 37,7 % des voix et prend ou conserve le pouvoir dans toutes les grandes villes, y compris Istanbul, Ankara et Izmir.
Pour le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), c’est une « débâcle historique ». Erdogan avait tenté de mettre de la distance entre lui et son parti à mesure que les élections approchaient : mais cette défaite est bien la sienne.
Le journal d’investigation russe en exil « Novya Gazeta » se penche sur les raisons du succès de l’opposition turque. Si la victoire n’aura sans doute pas beaucoup de conséquences au niveau national, elle montre cependant que le « président Recep Tayyip Erdogan ne pourra pas réviser la constitution, augmenter son pouvoir et rester en 2028 pour un troisième mandat. » Il n’est pas Poutine. Mais il faut raison garder, « il n’en résultera ni effondrement général, ni révolution, ni guerre civile ».
Comment expliquer ce succès ? Pour toute la presse de référence (Wall Street Journal, The Times of India, The Japan Times…), c’est « avant tout par l’inflation en Turquie a atteint 70 % le mois dernier et devrait continuer à augmenter. L’opposition a également joué sur le mécontentement des citoyens à l’égard des politiques autoritaires du président ». Erdogan pourrait ne pas avoir d’autre choix que « d’augmenter le salaire minimum et les pensions dans la seconde moitié de 2024 ».
La séquence politique a mis sur le devant de la scène le maire de centre-gauche d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, « la némésis d’Erdogan ». Mais la défaite de l’AKP cache l’émergence d’une force politique islamiste, le Parti de la Prospérité, qui a refusé l’alliance avec Erdogan au motif qu’il serait trop mou dans sa défense des Palestiniens.
Le quotidien libéral grec I Kathimeriní met en avant la formation du fils du mentor d’Erdogan, Erbakan, « l’autre gagnant » de la soirée.
Le FAZ se fait l’écho des inquiétudes du parti kurde qui craint une « manipulation électorale dans le sud-est du pays » pour lui voler sa victoire : « au cours des huit dernières années, la plupart des maires kurdes élus ont été remplacés par des administrateurs forcés sous des accusations fallacieuses de terrorisme ».
Der Spiegel lui emboîte le pas : « Abdullah Zeydan [candidat kurde] aurait obtenu 55 pour cent lors des élections municipales de Van, en Turquie. Un autre a toutefois été nommé nouveau maire. » De quoi alimenter encore un petit peu plus l’exaspération d’une population qui n’en peut plus de l’autoritarisme du régime.