Ukraine-Poutine : le tournant du 7 octobre
Le visage de l’agresseur n’est pas immuable, celui de l’agressé, de même. Le soutien de Moscou au Hamas a transformé Poutine en leader mondial de l’anti-occidentalisme. Et Zelenski en avant-garde de nos valeurs.
Or, voilà ce qu’il en est de l’Ukraine de Zelensky. L’Ukrainien « nazijunk » du récit poutinien, l’affilié nécessaire de l’OTAN et de l’Union européenne, dont seule une intervention militaire pouvait venir à bout, change tout à coup devant nous de visage, en raison des monstruosités historiquement identifiables du Hamas…
Vous aimiez Poutine, dispensateur sanglant d’une leçon de modération européenne qui faisait de l’Ukraine le champ d’action d’une résistance de l’ancien Pacte de Varsovie à la subornation de son fantôme par la menace occidentale ? Vous aimerez bien davantage la Russie, alliée de l’Iran et de ses séides, opposants farouches à l’impérialisme de l’occident éthique !
Vous aimiez Poutine, irrédentiste du Donbass et défenseur de la Crimée ralliée « naturelle » à son camp, vous aimerez la Russie défenseur des droits de qui n’en a aucun face à cet occident israélien dont les excès coupables sont le produit du libre exercice du vote de son peuple souverain.
Ne nous y trompons pas, tout a changé le 7 octobre, non seulement en Israël, mais en Ukraine : celui qui, vendant par pièces son économie à la Chine économe, se posait en défenseur d’une alternative libérale à l’Union européenne et aux États-Unis (budgétairement partagés à chaque prise d’initiative de l’Iran et du Qatar, de tous ceux qui promeuvent, urbi et orbi, l’idée de la disparition de l’État d’Israël) se pose désormais en leader d’un champ géopolitique infiniment plus large.
Poutine n’est plus, aujourd’hui, le promoteur d’une alternative à la donne libérale pédérastique, décadente, de l’Europe insuffisamment unie : il est devenu le visage d’une tête de pont dictatoriale, confessionnelle ou laïque, de l’anti-occidentalisme militant : la Sainte Face du « Sud global »…
Et, dans le même mouvement, l’Ukraine de Zelensky, devant le travestissement de son agresseur, change de masque, et se pose, devant ses alliés, d’une neuve façon : elle n’est plus la menace frontalière, elle n’est plus l’écueil d’un irrédentisme européen : elle est, de facto, aux côtés d’Israël, de l’Israël que son gouvernement élu outrage, l’avant-garde d’une défense des valeurs occidentales issues des Lumières face au vent debout illibéral, confessionnel, réactionnaire, dont la Russie a décidé de prendre la tête, faute de candidats alternatifs déclarés, ces derniers profitant de ce leadership opérationnel d’occasion dont tout porte à croire qu’il entraînera par le fond ceux qui s’y exercent caricaturalement.
L’Ukraine souffre, les siens meurent, c’est incontestable, elle partage désormais ses soutiens, c’est incoercible ; on comprend pourquoi : elle n’est plus l’Ukraine, plus « nationalement » l’Ukraine : elle est désormais, aux côtés d’Israël, davantage qu’elle-même : l’avant-garde de l’affirmation internationale d’une résistance mondiale aux impérialismes alliés des nationalismes illibéraux et confessionnels.
Le visage de l’agresseur change celui de l’agressé, c’est ainsi : soutenir Zelenski, c’est voter pour un monde.
Emmanuel Tugny, écrivain, ancien diplomate