Un anti manuel de droit constitutionnel
Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux, dresse un diagnostic lucide des dérives de la Vème République et propose des pistes stimulantes.

Montesquieu disait qu’il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante. Longtemps j’ai pensé que les débats sur une révision constitutionnelle étaient vains. Longtemps il m’a semblé que la Constitution de 1958 était suffisamment solide et qu’il ne fallait y toucher qu’à la marge. Longtemps les partisans d’une VI e République m’ont paru inspirés d’intentions douteuses. Il faut d’ailleurs reconnaître que les quelques fois où l’on révisa le texte des pères fondateurs de la Vème, comme pour instaurer le quinquennat, ce ne fut pas une réussite.
Le livre que vient de publier l’ancien Garde des Sceaux (1) est pourtant convaincant : il est possible, souhaitable même, de reprendre le texte de 1958 pour rendre son équilibre au fonctionnement de nos institutions. Son « anti manuel de droit constitutionnel » est un document précis, pédagogique et facile à lire (si, si, c’est possible !) qui démontre de manière lucide l’érosion de notre pratique constitutionnelle à la lumière des évolutions politiques du pays.
Tous les problèmes sont analysés de façon clinique : la dérive du pouvoir présidentiel, l’ambiguïté des pouvoirs à Matignon, l’atrophie de la procédure référendaire, les conséquences du scrutin majoritaire, le respect de la séparation des pouvoirs, le pouvoir des juges et la nécessaire modernisation du Parlement. Sur ce dernier point, les suggestions émises paraissent si évidentes que la question se pose : pourquoi n’y a-t-on pas songé depuis longtemps ?
On peut ne pas être d’accord avec toutes les suggestions de l’auteur. J’hésite pour ma part à approuver tout ce qui peut affaiblir sensiblement le pouvoir de l’exécutif : c’est à la mode certes, et part de bonnes intentions. Mais c’est risqué dans un monde en ébullition où les décisions doivent être prises de plus en plus rapidement. De plus, le spectacle lamentable des débats parlementaires actuels ne donne guerre envie de renforcer le pouvoir de ces élus. Personnellement je regrette aussi l’absence de toute réflexion sur l’inachèvement de notre décentralisation. On peut ne pas être d’accord sur tout, dis-je, et les institutions ne valent que ce que valent les hommes. Mais il faut reconnaître à Urvoas la pertinence et l’actualité de son questionnement.
(1) Éditions Odile Jacob, Janvier 2025.