Un feu d’artifice nucléaire

par Gilles Bridier |  publié le 01/04/2025

Le Conseil de politique nucléaire a ouvert toutes les pistes, même certaines qui avaient été fermées. Mais il n’établit aucune hiérarchie.

EDF pourra-t-elle faire face ?

Centrale nucléaire de Penly sur la côte de la Manche, site retenu pour l'installation de nouveaux réacteurs nucléaires EPR à partir de 2024 (projet EPR2 d'EDF) à petit-Caux, France le 27 octobre 2024. (Photo d'Amaury Cornu/Hans Lucas via AFP)

Un foisonnement de projets ! Au Conseil de politique nucléaire (CPN) du 17 mars, toutes les options ont été retenues dans la feuille de route que fixe l’Élysée à l’industrie du nucléaire. Depuis la construction d’une première tranche de six EPR2 avant 2038 jusqu’aux petits réacteurs (SMR) destinés à décentraliser la production d’énergie, en passant par la relance de la technologie à neutrons rapides (RNR) déjà abandonnée par deux fois en France. Pour un pays qui aura mis 17 ans au lieu de cinq à construire un EPR, pour un coût de 12,4 milliards d’euros au lieu de 3,3 milliards, c’est faire preuve d’un immense optimisme… ne serait-ce que pour réaliser six EPR dans le même délai que le seul de Flamanville, et alors que l’État s’est désinvesti dans les filières d’excellence qui président à la construction de centrales !

Le programme du CPN est-il démesuré pour autant ? A l’heure de bouleversements géopolitiques majeurs, la souveraineté énergétique est à ce prix pour un pays totalement dépendant de ses importations dans les énergies fossiles, et qui ne peut prendre le risque de ne compter que sur les énergies renouvelables, aléatoires par nature. Encore faudra-t-il faire preuve de rigueur et de constance dans le cap à tenir, et perdre cette habitude de godiller en fonction des intérêts électoralistes du moment.

La France, grande nation du nucléaire, faisait la course en tête dans la technologie à neutrons rapides avec le démonstrateur Superphénix, jusqu’à ce que fin 1996, le gouvernement de Lionel Jospin décide sa fermeture pour rallier les écologistes. Pourtant, cette technologie est vertueuse car elle permet d’alimenter les réacteurs avec les déchets stockés à La Hague et ceux qu’ils produisent eux-mêmes. Mais le refroidissement des installations doit être assuré avec du sodium liquide particulièrement dangereux. Cet inconvénient majeur n’a pas empêché la technologie d’être reprise par d’autres pays, avant que la France s’y intéresse de nouveau avec le surgénérateur Astrid… jusqu’à un nouvel abandon en 2019. Et voilà que, six ans plus tard, le Conseil relance un Astrid relooké pour la deuxième partie du siècle. Que de temps perdu…

La vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric en 2014 et le rétropédalage neuf ans plus tard pour qu’EDF rachète les turbines fabriquées à Belfort, porterait à sourire si ce n’était un autre exemple de l’inconstance de la stratégie de l’État dans un secteur où les projections doivent porter sur plusieurs décennies. Et on peut regretter aussi le retard pris dans les mini-réacteurs alors que quelque 80 projets sont en développement dans le monde, notamment pour alimenter les data centers de l’intelligence artificielle. EDF, plus à l’aise avec les productions centralisées d’électricité, a mis du temps à s’atteler avec le CEA à la mise au point de son projet Nuward.

N’oublions pas le volet sur la fusion nucléaire dans le cadre du projet international Iter dont la France est partie prenante. Même si le communiqué du CPN ne le mentionne pas, le programme se poursuit mais, ayant accumulé une dizaine d’années de retard, il ne fait plus figure de précurseur dans son domaine.

Les inconditionnels du nucléaire applaudiront au foisonnement de ces décisions. Mais comme il pourrait être dangereux de placer tous ses œufs dans le même panier, les objectifs fixés par Emmanuel Macron en matière d’éolien (une cinquantaine de parcs offshore) et de solaire (à doubler par rapport à 2022), restent d’actualité. Leur temporalité différente les rend nécessaires, mais leur coût les rend superfétatoires aux yeux des radicaux de l’atome. Il est vrai que le financement de tous ces projets reste pour l’instant fort incertain, hormis un prêt de l’Etat bonifié qui doit encore être validé pour la construction des six EPR par EDF. La souveraineté énergétique impliquera de lourds engagements financiers, qui devront être discutés par la représentation nationale.

Gilles Bridier