Un ministre ne devrait pas écrire ça?
Bruno Le Maire a publié ce printemps un roman, « Fugue américaine » (Gallimard) librement inspiré de la vie de Vladimir Horovitz. Bien mal lui en a pris…
Vous l’aurez noté : un livre fait l’actualité depuis sa sortie au mois d’avril, un roman plus exactement signé de Bruno Le Maire – « Fugue américaine », inspiré du goût très prononcé de l’auteur pour la musique – dont il n’aura échappé à personne que l’auteur est ministre de l’Économie et des Finances. Inspiré d’un épisode réel de la vie du pianiste de génie Vladimir Horowitz, il se déroule en 1949 à La Havane où deux frères, Franz et Oskar Wertheimer, partis de New York, se rendent pour assister à un concert du maître.
L’originalité de l’histoire, pas celle du roman mais de sa sortie en librairie, est qu’elle nous a permis d’assister à un déluge de réactions d’un genre nouveau : une critique acerbe, moins du livre en lui-même, que du seul fait qu’il ait été écrit.
À moins que vous ne viviez sur la planète mars, vous avez dû lire les gigaoctets de moqueries venant de critiques autoproclamés qui se sont déchaînés sur les réseaux sociaux. L’objet du délit? Quelques pages parsemées de phrases érotiques que je ne vais pas reproduire ici pour la millième fois et qu’on peut se sentir libre de trouver ridicules ou pas. Comme la qualité du roman. Critiques élogieuses ou pas, à chacun son mauvais goût.
Non, le sujet de fond est le reproche fait au ministre de prendre du temps pour… écrire des livres, puisqu’aussi bien ce n’est pas le premier que Bruno Lemaire publie depuis qu’il est au gouvernement. Argument aggravant : ce ne sont pas de ces livres politiques – sérieux, empesés, portés par un vide abyssal et une rédaction approximative – simple prétextes pour tenter d’exister dans les médias le temps d’une opportune parution: « Ainsi, vous écrivez, monsieur? » -« Oui, Madame, parce que la France me préoccupe ». Respect. On est à deux doigts du sacrifice.
Et quand il s’agit d’un roman? Ah, là, l’épisode devient intéressant. Le bruit de fond des politiques, des commentateurs en tous genres, des ricaneurs par nature tient en cette idée qu’un ministre ne devrait pas avoir le temps de faire cela.
Le Président Macron lui-même en aurait conçu une certaine irritation. La sortie de « Fugue américaine » ayant été concomitante de la Une de Playboy consacrée à Marlène Schiappa, d’aucuns ont même jugé bon de mettre les deux faits à égalité… en pleine crise sociale des retraites.
Merveilleux pays qu’est la France en ces paradoxes incessants ! Mille fois sous la plume des meilleurs observateurs, nous avons lu la critique d’une classe politique de plus en plus ignare et de ministres n’ayant pas lu Modiano ! Bonnets d’ânes!
Or, pour une fois qu’on tient un ministre à trois pattes, homme sérieux, certes de droite, à la tête d’un portefeuille austère, mais aussi, par ailleurs, normalien, agrégé en lettres modernes, amoureux de la littérature et la musique et qui, contrairement à d’autres – cher Laurent Wauquiez – ne cherche pas à faire oublier qu’il a de la culture pour mieux l’écraser, pire, la revendique, et voici les railleries populistes qui pleuvent. Ricaner est plus facile qu’écrire.
A-t-on jamais vu quiconque se demander si un ministre devrait avoir le loisir de faire du jogging, de la cuisine, de regarder des séries américaines ou de réparer des vieux vélos ? Faut-il désormais rougir de préférer noircir des pages d’écriture? Franchement, ça donne des envies de fugue…bien française !