Un noir américain défie la race des seigneurs

par Pierre Feydel |  publié le 11/07/2024

L’Allemagne remporte le plus de médailles. Jesse Owens en gagne quatre en or. Un « nègre » s’impose aux aryens. Il n’est certes pas juif, mais quand même…

Jesse Owens Photo Ann Ronan Picture Library / Ann Ronan Picture Library / Photo12 via AFP

C’est une scène digne d’un peplum hollywoodien. Le 1er août 1936, la cérémonie d’ouverture des jeux se veut grandiose. En fin de matinée, la flamme est accueillie par les « Heil Hitler » frénétiques de 30 000 jeunesses hitlériennes, dont les premiers rangs portent des torches. L’entrée du Führer est saluée par une sonnerie de trompettes et les vivats de 100 000 spectateurs. L’orchestre entonne la « Marche d’hommage » de Richard Wagner.  4 500 participants de 49 pays vont défiler devant le chancelier. Les Français, coiffés du béret, saluent… bras tendu. C’est le salut olympique : on tend le bras, puis on le replie sur la poitrine. Beaucoup de spectateurs pensent qu’il s’agit du geste nazi, une façon d’honorer le pays hôte des jeux ! La délégation française est ovationnée. Moins toutefois que l’équipe allemande. 3 700 000 personnes vont suivre les compétitions.

L’Allemagne engage 348 athlètes, les États-Unis d’Amérique 310. Ce sont les deux plus gros contingents. Suivent la France, la Hongrie et le Royaume-Uni qui vont, eux, aligner prés de 200 sportifs chacun. Les jeux olympiques de 1936 vont présenter 129 épreuves dans dix-neuf sports. Le héros de ces jeux sera le sprinteur noir américain Jesse Owens, alors âgé de 23 ans. Il va emporter quatre médailles d’or à lui tout seul : celle du 100 m. (en 10,3 s), du saut en longueur (8,06m), du 200 m., et enfin au 4×100 m (au premier relais, il a déjà creusé l’écart). La supériorité de la race aryenne en prend un coup. Hitler ne lui sert pas la main, simplement parce que le comité olympique lui a demandé de ne pas seulement féliciter les athlètes allemands, mais de congratuler tous les vainqueurs ou aucun (le führer choisit la seconde solution).

« Le nazisme a imposé ses rites : à chaque victoire allemande, à chaque apparition d’un dignitaire national-socialiste, un multitude de drapeaux à croix gammées s’agitent »

L’Allemagne se comporte néanmoins brillamment. En tête du classement, elle totalise 89 médailles, dont 33 en or. Les États-Unis et la Hongrie prennent les seconde et la troisième places avec respectivement 56 et 16 médailles. Mais le nazisme a imposé ses rites : à chaque victoire allemande, à chaque apparition d’un dignitaire national-socialiste, un multitude de drapeaux à croix gammées s’agitent, les stades retentissent de « Heil Hitler », de « Sieg Heil » et d’hymnes, du « Deutchland über alles » au  « Horst Wessel Lied ». Quand Tilly Fleischer remporte le lancer du javelot, Hitler se rengorge, se tourne vers Goebbels et se tape sur les cuisses de plaisir. Sur le podium, l’athlète victorieuse, la deuxième et la troisième sont flanquée d’une « gretchen » grande et blonde tout de blanc vêtu qui coiffe chacune d’une couronne de laurier et salue bras tendu le Führer avant de regagner sa place. Une grand-messe avec ses prêtres, ses officiants, ses milliers de fidèles extatiques et sa liturgie pompeuse. Les jeux montrent au monde un peuple fanatisé, prêt à suivre son chef, partout où il voudra le mener. Jusqu’à sa propre perte…


Toute la série :
1. Olympisme et nazisme, des affinités
2. Le boycott des jeux n’aura pas lieu
3. Décor monumental et organisation colossale
4. Un noir américain défie la race des seigneurs
5. Derrière le sport, la marche vers la guerre

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire