Un rapport « capital »

par Bernard Attali |  publié le 26/04/2024

Le rapport Letta sur les capitaux fera date… si on ne fait pas l’erreur de l’oublier 

La scène européenne s’anime. Enfin ! Je ne pense pas à la campagne européenne, toujours aussi décevante, mais à quelques réflexions plus discrètes et techniques qui l’accompagnent. De ce point de vue le rapport du Pr Letta sur le marché européen de capitaux fera date.

De quoi s’agit-il ? Sur le plan budgétaire, les pays européens font face à un immense défi, sans doute le plus important depuis des décennies. En matière de transition énergétique, d’éducation, de défense, de santé, tout indique une impasse. Pire : les pouvoirs politiques sont confrontés à un conflit d’horizons qui conduit à privilégier l’urgent par rapport à l’important.

Diverses estimations convergent sur la nécessité d’un effort annuel supplémentaire d’environ 2,5 % du PIB européen d’ici à 2030 (400 milliards d’euros au total) pour maintenir la trajectoire envisagée vers la neutralité climatique. En ajoutant les montants pour la transition numérique, l’ancien Président de la Banque Centrale Européenne (BCE) Mario Draghi chiffre le besoin à 500 milliards d’euros supplémentaires par an. Atteindre ce montant semble une tâche impossible sauf à repenser complètement le modèle de financement installé depuis quarante ans.

La situation actuelle est, disons-le, baroque. Si l’épargne européenne est l’une des plus abondantes du monde (9 000 Md d’euros), elle s’oriente essentiellement vers des placements liquides (livrets, compte courant) ou peu risqués (obligation souveraine, via l’assurance vie).  Et la très grande majorité de cette ressource est investie en obligations… américaines.  Chaque année, environ 300 milliards d’euros traversent l’Atlantique ! L’Europe de la finance est une passoire ! Cela est dû pour une bonne part à l’absence d’un marché unique des capitaux en Europe.

Comme le démontre Enrico Letta dans son rapport à la Commission, il faut accélérer la mise en place d’une véritable Europe de capitaux. Elle doit créer un environnement favorable aux investissements en actions en Europe par un fonctionnement décloisonné des marchés, la simplification et l’amélioration des informations financières et extra financières disponibles, des incitations (y compris via une taxe carbone) adaptées et des supports adéquats (structures de portage d’investissement de long terme, etc. ). Sans un vrai marché unique du capital en Europe, jamais l’euro n’approchera le statut d’une monnaie de réserve internationale.

D’une manière générale, il faudra enfin favoriser le développement des fonds d’« investissement » qui – au contraire des marchés boursiers – encouragent les placements longs notamment en matière d’infrastructures. Les études montrent que les fonds européens disposent actuellement de plus de 3 500 milliards d’Euros de « poudre sèche ». Toutes les incitations (notamment fiscales ) devraient être mises en place pour orienter ces fonds vers les placements durables et en Europe !

Le rapport Letta ne doit pas être un « énième » rapport à ranger sur une étagère. Il pose une question cruciale qui exige des dirigeants politiques une réponse claire et rapide. Si la campagne des élections européennes permet de faire émerger de tels projets elle aura servi à quelque chose !

Bernard Attali

Editorialiste