Un Sénat oui, mais rénové

par Jean-Philippe Derosier |  publié le 04/10/2023

La haute assemblée joue un rôle utile dans les institutions. Mais son mode de désignation doit être modifié pour mieux représenter la population française

Jean-Philipe Derosier

Le 65e anniversaire de la Constitution aura lieu le 4 octobre prochain. Le Sénat, l’une des institutions les plus anciennes de notre histoire constitutionnelle, vient d’être partiellement renouvelé, confirmant son orientation éternellement conservatrice. Si tel est son nom lorsqu’il est apparu dans la Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799), qualifié par le Titre II « Du Sénat conservateur », c’est parce qu’il est alors chargé de « conserver » la Constitution, soit de veiller sur son respect. Il doit alors constituer un contre-pouvoir, toutefois fortement limité par la puissance du Premier Consul, puis de l’Empereur.

Le Sénat ne dit jamais « non » par dogmatisme et jamais « oui » par discipline

Aujourd’hui, le Sénat de la Ve République exerce un rôle majeur dans l’équilibre des pouvoirs. La forte centralisation administrative et politique du régime, héritage du jacobinisme pour l’une et résultat du fait majoritaire pour l’autre, commande qu’une seconde assemblée parlementaire représentant les collectivités territoriales soit à même de limiter la politique majoritaire, sans pour autant l’entraver.

Tel est le rôle qu’il endosse, le Sénat ne disant jamais « non » par dogmatisme et jamais « oui » par discipline, selon la formule de son président actuel. Sa mission de vigilance, exercée par exemple lors de l’affaire Benalla ou pendant la crise sanitaire, témoigne de la particulière nécessité de cette seconde chambre, en mesure de freiner, voire d’empêcher, la majorité présidentielle.

Mais le mode de désignation des sénateurs contrarie la moindre alternance – et la période 2011-2014 n’en constitue pas une – car, s’il y a bien eu un président de gauche au Plateau , le groupe majoritaire était toujours celui de la droite conservatrice .

Le Sénat est aujourd’hui élu par un collège électoral composé à plus de 95 % de délégués municipaux, donc issus des communes, qu’il s’agisse du seul maire, de quelques conseillers municipaux ou de l’ensemble du conseil municipal. Dans les plus grandes communes, qui comptent plus de 30 000 habitants, des délégués municipaux supplémentaires sont désignés, à raison d’un délégué pour 800 habitants.

Les petites communes représentent plus des deux tiers du collège électoral sénatorial

En France, les communes peu peuplées sont majoritaires : plus de la moitié comptent moins de 500 habitants, environ 29 000 comptent moins de 2 000 habitants et seul 1 % comptent plus de 30 000 habitants. Mais ces dernières comptent 35 % de la population française. Les petites communes (de moins de 9 000 habitants) représentent donc plus des deux tiers du collège électoral sénatorial, alors qu’elles correspondent à moins de la moitié de la population. Ce sont des collectivités souvent rurales dont les délégués municipaux à l’élection sénatoriale montrent plutôt des affinités politiques de centre droit.

Pour remédier à ce tropisme, et faire du Sénat une institution démocratique, il faut changer en profondeur son mode de désignation.

Un projet réalisable si une partie des sénateurs (environ la moitié) est élue par les conseils des régions, des départements et des communes de plus de 100 000 habitants (on en compte 42). En leur sein, un conseiller serait désigné pour siéger au Sénat. L’autre moitié des sénateurs serait élue par l’ensemble des conseillers municipaux de chaque région, regroupés en trois catégories : les conseillers des communes de moins de 1  000 habitants, de 1  000 à 9 999 habitants et de 10 000 à 100 000 habitants. Chaque catégorie élirait respectivement un, deux et quatre sénateurs dans chaque région.

 La représentativité des petites communes serait ainsi réduite. Mais le lien avec les collectivités territoriales serait renforcé, puisque la moitié des sénateurs serait directement issue des assemblées délibérantes de certaines collectivités et continuerait d’y siéger. Leur légitimité serait également plus directe car il serait possible d’identifier, lors des élections locales, qui , en cas de victoire, siégerait au Sénat (comme c’est le cas du maire, par exemple).

La légitimité de l’ensemble du Sénat et son lien avec toutes les collectivités territoriales en ressortiraient renforcée. L’alternance y serait plus aisée, confortant le caractère démocratique de cette assemblée .

La proposition formulée ici a été débattue au sein du GRÉCI, le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions. 130 propositions seront présentées le mercredi 4 octobre 2023, au Palais du Luxembourg, lors d’un colloque organisé à partir de 14 h.

Jean-Philippe Derosier

Chroniqueur droit constitutionnel