Un vote d’avenir
Le scrutin de dimanche n’est pas seulement l’occasion de limiter la montée d’un nationalisme dangereux. Il doit permettre de relancer l’espoir d’une alternance progressiste crédible
Comment faire barrage ? Cette question dominera à coup sûr la vie politique après le 9 juin, tant la montée du RN vers le pouvoir devient une hypothèse vraisemblable ; elle se pose dès aujourd’hui, à la veille d’un scrutin décisif pour l’Europe.
Comment éviter à la France une politique anti-européenne, pro-russe, économiquement douteuse et qui, en cas de victoire, conduirait, par son obsession xénophobe, le pays de la liberté et de l’égalité à rompre avec les principes mêmes qui l’ont fondé ? Et, dans l’immédiat, comment s’assurer que les premières ébauches de cette vaste régression ne soient pas mises en œuvre au Parlement européen par l’entrée en force d’un nouveau contingent de députés nationalistes ? « Le barrage, c’est moi », a encore dit jeudi soir Emmanuel Macron au terme des commémorations du Jour J. Forfanterie de plus en plus criante. Celui qui se vantait, au début de son mandat, de faire reculer le RN a assisté impuissant à sa progression régulière, qui menace maintenant de laisser la liste macronienne à cent coudées derrière celle de Jordan Bardella.
Fracture
Des réformes qui frappent d’abord les plus défavorisés, parmi lesquels le RN puise ses électeurs ; une politique budgétaire dont le ministre des Finances se targue avec suffisance, alors qu’elle laisse le pays plus endetté que jamais ; une posture libérale qui accroît l’inquiétude des classes populaires et moyennes face à une mondialisation dure aux plus fragiles ; un retard de plus en plus net rapport aux objectifs écologiques définis lors des conférences sur le climat ; une extrême maladresse dans l’expression, qui laisse à penser au peuple qu’on agit à son endroit avec désinvolture, condescendance, quand ce n’est pas mépris pur et simple. Tout cela a fracturé chaque jour un peu plus la société et poussé les plus inquiets – ou les plus maltraités – vers l’illusion nationaliste. La macronie devait être le rempart contre le RN. Elle s’est changée en tremplin.
Les défis à venir indiquent la voie à suivre. Il s’agit de mieux protéger les classes populaires par une politique solidaire ; d’accélérer la mutation écologique dans la justice sociale ; d’instaurer en Europe un « juste échange » qui permette de sauvegarder la production nationale tout en lançant la réindustrialisation du pays ; de démocratiser la vie politique pour y ramener les électeurs qui ont choisi la protestation ou l’abstention ; de bâtir enfin une Europe puissance qui fasse pièce aux ambitions des empires. Sachant que cette force d’alternance nouvelle ne pourra naître dans l’outrance, le sectarisme et la démagogie radicale.
Seule une gauche du réel peut y parvenir, alliée au bloc social-démocrate européen, sans lequel la résistance au nationalisme s’étiolera dans l’Union. Si bien que le vote de dimanche, indispensable pour contenir l’intolérance, est aussi la première pierre d’une construction à venir : celle d’une force politique capable de gouverner pour bâtir un pays plus fort parce qu’il sera plus juste.