Une aubaine pour la droite ?
L’élimination probable de la championne du RN pour la présidentielle et son possible remplacement par Jordan Bardella constituent une vraie-fausse bonne nouvelle pour la droite.

Les sondages se faisaient menaçants. A la veille du jugement foudroyant Marine Le Pen, les intentions de vote (enquête IFOP-JDD) en faveur de la fille de Jean-Marie Le Pen se montaient à 35% des voix au premier tour de la présidentielle. L’addition des suffrages en faveur de la droite extrême (Le Pen plus Zemmour plus Dupont-Aignan) dépassait largement les 40%. Cette droitisation de l’électorat ne garantissait pas un succès de la candidate du RN au second tour, mais lui donnait une meilleure chance que jamais.
La voilà, de son propre aveu, « éliminée ». Une chance infime, « un chemin étroit » reconnaît-elle, existe pour inverser le cours des choses. Elle se battra pour que l’appel de son jugement prospère, sachant que la probabilité que la justice lui permette de se présenter en 2027 sont faibles. En attendant, la situation créée déstabilise la mécanique bien huilée qui devait conduire Marine Le Pen aux portes de l’Élysée. Ses adversaires de droite espèrent en profiter.
A priori, l’éviction de la favorite constitue une aubaine. Le RN va être « troublé » (mot à la mode) par l’incertitude où il est plongé. Marine Le Pen refuse de passer rapidement la main à Jordan Bardella, un « atout formidable » qu’elle n’est pas pressée d’utiliser. Une période de flottement s’ouvre donc, où la préparation de la présidentielle ne pourra se concentrer sur une seule hypothèse de candidature.
C’est fâcheux pour le plan B comme Bardella. Le jeune homme a déjà démontré ses limites et a besoin de densifier son profil. Il n’aura que 31 ans en 2027 et, s’il est populaire sur TikTok et dans les librairies, il peut apparaître léger à l’heure où le monde est menacé par le diabolique duo Trump-Poutine. S’il ne peut s’affirmer clairement dans les prochains mois, s’il doit attendre le dernier moment pour remplacer Marine Le Pen, il restera fragile. Une partie des électeurs du RN venus de la droite classique ou de la gauche pourront être tentés de retourner dans leurs familles d’origine.
Mais les adversaires de l’extrême-droite auraient tort de se réjouir trop vite. D’abord parce que les électeurs du RN sont animés par un puissant mouvement dégagiste, qui peut se manifester en 2027 quel que soit ne nom de son candidat. Et si c’est finalement Jordan Bardella qui porte les couleurs du mouvement, il apportera une tonalité plus compatible avec un électorat conservateur sur le plan économique. Le dauphin est beaucoup plus libéral que la « patronne », fréquente les capitaines d’industrie et se montre plus « raisonnable » sur le social.
Ceux qui se préparaient, à droite et au centre-droit, à fustiger un programme économique hors sol devront sans doute rectifier le tir. Un problème qui touche directement Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, mais aussi Edouard Philippe, second favori des sondages. Comment récupérer des citoyens égarés au RN si ce parti se dédiabolise au point d’avoir un candidat qui ne porte plus le nom de Le Pen et gomme ses aspérités de gauche ? Laurent Wauquiez, récemment interrogé sur la possibilité d’une union des droites, avait répondu que l’alliance avec le RN était impossible seulement parce que « je n’ai pas les mêmes idées sur l’économie ». Si ce n’est plus le cas…
La gauche pourrait aussi se remplumer d’électeurs du RN qui jugeraient le programme de Bardella insuffisamment social, sur les retraites comme sur le pouvoir d’achat. Ce ne serait pas une bonne nouvelle pour la droite non plus. Pour l’instant, chacun digère les secousses sismiques de la probable élimination de Marine Le Pen. Personne ne dévoile son jeu, à commencer par Jordan Bardella. Tant que la fiction de la candidature de Marine le Pen sera maintenue, le paysage sera largement gelé. Mais dans les têtes, on se prépare à s’ajuster au plan B. En sachant que, dans les deux ans à venir, de nombreux rebondissements peuvent encore modifier la donne. Et bouleverser le paysage présidentiel. Qui avait prévu la situation actuelle ?