Une cigale nommée Macron
Le doublement de l’écart entre les taux longs allemands et français révèle le doute qui assaille les marchés. La France peut-elle redresser ses comptes ? Le budget 2025 sera crucial.
« Les vautours rôdent, ils attendent. La plaie peut être cautérisée, la viande n’est pas encore morte mais … ». Pour ce spécialiste des comptes publics, la situation financière de la France est grave. Avec un déficit budgétaire qui dépasse des 6% du PIB, le plus élevé hors crise économique depuis qu’on a créé le critère européen des 3%, les finances de la France sont à la dérive. Les initiés n’en reviennent toujours pas : comment les experts de Bercy ont-ils pu, deux années successives, se tromper à ce point dans leurs prévisions et ne pas voir le déficit filer ? « C’est stupéfiant, personne ne s’y attendait », renchérit un grand connaisseur de l’économie du pays.
Entre les dépenses qui n’ont pas été contrôlées et les recettes qui ne sont pas rentrées, rien ne s’est passé comme prévu. Tout s’est accéléré depuis le 9 juin dernier et l’annonce de la dissolution. Jusque-là, le « spread », le fameux indicateur qui mesure l’écart entre les taux d’intérêt à dix ans entre l’Allemagne et la France, était limité à 0,4%. Pas de quoi affoler les analystes. Mais il a doublé en seulement quatre mois, pendant lesquels les taux longs français se sont envolés à 2,95 % quand ceux de l’Allemagne se sont maintenus à 2,15 %. De quoi reléguer la France dans les « pays du Club Med » du sud de l’Europe : le taux français est à présent supérieur à celui du Portugal, de l’Espagne, et même de la Grèce si l’on prend la référence des taux à 5 ans.
Que s’est-il passé ? « Depuis la dissolution, un gros doute s’est emparé des marchés financiers », poursuit le spécialiste. « S’ils décidaient d’attaquer la France, l’écart pourrait monter de 0,8 à 2 % », soit un taux d’emprunt à dix ans de… 4,15%. Une perspective que nul ne veut envisager. Mais à quelques jours de l’annonce du budget, il faut s’attendre à un sérieux tour de vis.
Le raisonnement est simple : plus les taux d’intérêts sont élevés, plus le poids de la dette s’alourdit, 50 milliards chaque année aujourd’hui, peut-être 80 milliards demain. Les taux sont le reflet de la confiance des marchés dans la politique économique d’un pays et en sa capacité à rembourser. En 2008, le franchissement du seuil de 10 % avait précipité la grande crise financière de la Grèce qui avait menacé de se propager à tout le continent européen.
La France n’est pas la Grèce, et notre épargne privée pharaonique rassure pour l’instant les marchés financiers, attirés par l’appât du gain que procurent des taux élevés. Mais demain ?
Si on en est arrivé là, c’est en raison du laxisme hallucinant dont a fait preuve Emmanuel Macron pendant les années fastes où les taux étaient au plus bas et le spread inexistant. L’inspecteur des finances Jean-Pascal Beaufret peut rappeler que les retraites sont, avec les dépenses ordinaires, à l’origine de la moitié du déficit de la France. C’est la conséquence structurelle d’une démographie vieillissante où la population active ne suffit plus à payer, par répartition, les pensions des personnes âgées inactives. Il n’empêche que l’autre moitié d’une dette qui a crû de 1 000 milliards d’euros sous Emmanuel Macron, résulte à égalité des crises successives qui se sont additionnées et des généreux allègements d’impôts concédés aux revenus du capital.
Dès 2018, lors de la crise des gilets jaunes, bien avant celle du Covid, la France a dépensé sans compter pour calmer les colères ou s’attirer les bonnes grâces des électeurs en distribuant les chèques, comme pendant la campagne présidentielle de 2022. Pendant ce temps, et contrairement à ses promesses de 2017, Emmanuel Macron n’a pas touché à un iota des dépenses de l’Etat qu’il a échoué à réformer. Confiant en son étoile, qui l’a inlassablement conduit à minimiser les risques, il n’a pas voulu voir venir les dangers d’une stratégie dictée par la politique de l’offre où la croissance générée par les entreprises devait à elle seule tout combler, création d’emplois et pouvoir d’achat. Il a suffi d’un ralentissement pour que l’édifice chancelle. Jean de La Fontaine, économiste prophétique, l’ait déjà écrit : « la cigale ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue ».