Une enfant, deux hommes, une époque

par Jérôme Clément |  publié le 03/05/2024

Denis, le père, insupportable. Georges, le grand-père, poids lourd politique, tous deux autrefois célèbres

D.R Gallimard

D’abord Denis. Personnage exubérant, insupportable, affable, pédant, audacieux, talentueux, homme d’affaires et philosophe. Car Denis, marié quatre fois et père de huit enfants est auteur de livres de philosophie sur l’esthétique et de manuels, le « Vergez et Huisman », Histoire des philosophes illustrée par les textes, vendu à des millions d’exemplaires et traduit dans le monde entier.

Devenu homme d’affaires, il crée des écoles, boîtes à bac et différentes écoles dont celle d’attachés de presse, l’EFAP, gagne beaucoup d’argent qu’il dépense sans compter auprès de ses nombreuses conquêtes. On assiste à son agonie sur laquelle veille tendrement sa fille Violaine, revenue des États-Unis pour l’assister, elle, sa fille chérie de son troisième mariage qui l’adore même s’il n’a pas toujours été un père très attentif. 

On sent dans toute la première partie du livre la présence – ou l’absence – obsédante du père de Denis, Georges Huisman, personnage marquant de la IIIème République.Chartiste, Secrétaire d’état de la présidence de la République, il travaille avec Paul Doumer dont il assiste à l’assassinat, en 1934.

Devenu directeur général des Beaux-Arts, Georges accomplit un travail considérable notamment pendant le Front Populaire sous les ordres de Jean Zay, ministre de l’Éducation. Il est en fait, avant que le poste existe, le ministre de la Culture. Il découvre aussi le grand amour avec Choute, une jeune aristocrate beaucoup plus jeune et mal mariée qui tombe amoureuse de lui. Elle l’accompagnera jusqu’aux événements tragiques de la guerre.

Les musées sont réformés, l’administration culturelle se met en place. Il écrit une monumentale « Histoire générale de l’art » et un autre livre sur « Les monuments de Paris».

Georges Huisman attache une grande importance au cinéma et imagine, avec Erlanger, le Festival de Cannes qui devait se tenir en 1939… on se souviendra d’Erlanger, pas de lui. Sentant la guerre venir, il anticipe le déménagement des œuvres d’art dans les châteaux de la Loire et notamment à Chaumont-sur-Loire qu’il a racheté, au nom de l’état, à la princesse de Broglie.

Juif, il doit fuir Paris et s’installe avec Choute dans ce château, et embarque ensuite sur le Massilia avec les parlementaires hostiles au Maréchal Pétain, et parmi eux Mandel, Mende France et Zay. Arrivés à Casablanca, ils sont arrêtés et convaincus de trahison ce qui donnera lieu au fameux procès de Riom. Georges Huisman parvient à rejoindre l’Algérie avant de revenir résister en France dans le midi. C’est un homme traqué qui perd en même temps que ses fonctions prestigieuses, son amour Choute, ses amis, une partie de sa famille, ses biens et sortira brisé de ces épreuves.

Conseiller d’État après la guerre, il survivra, symbole impuissant et oublié d’une IIIème République qui a rendu l’âme. Un beau roman, émouvant et admirablement raconté, une histoire de père et de fils, mais aussi de fille et de père, une histoire familiale , celle de deux époques.

« Les monuments de Paris »,  est le troisième livre de Violaine Huisman. Elle a obtenu les prix Françoise Sagan et Marie Claire pour son deuxième livre « Fugitive parce que reine » qui raconte l’histoire de sa mère, suicidée.

Jérôme Clément

Editorialiste culture