Une Europe de la raison

par Bernard Attali |  publié le 02/06/2024

 

Aucun État européen ne peut affronter seul les défis de demain

La dernière étude de la Fondation pour l’innovation politique (mai 2024) est passionnante. Consacrée à la perception de l’Union européenne par les électeurs du continent, fondée sur des sondages très détaillés, ses conclusions sont somme toute très encourageantes.

En dépit de la montée en puissance d’un vote populiste, les atouts de la construction européenne sont de plus en plus appréciés partout. En 2024 plus des 2/3 des Européens soutiennent l’appartenance de leur pays à l’Union. Même les 20 % d’eurosceptiques qui grognent ne veulent pas suivre l’exemple désastreux du Brexit. L’euro y contribue : 92 % des personnes interrogées disent apprécier la monnaie européenne. La Commission européenne comme le Parlement européen inspirent confiance à près de 60 % des citoyens d’Europe alors qu’au niveau national la défiance à l’égard des dirigeants politiques est à la hausse partout.

Au fur et à mesure des crises l’avènement d’un monde plus hostile dominé par les États-Unis et la Chine renforce le soutien à l’Europe. Les ratés de la mondialisation et l’agressivité de la Russie ont révélé à l’opinion européenne la dangerosité du monde des États. Ce retour à l’Europe n’a rien d’affectif. Il est le résultat logique d’une inquiétude grandissante. Les citoyens européens, par pragmatisme et non par idéal, sont favorables à l’affirmation d’une puissance publique européenne supplémentaire pour affronter les temps nouveaux.

Les deux tiers des Européens sont en l’attente d’une défense et même d’une armée commune. Une immense majorité veut une protection des frontières plus solide pour faire face aux vagues d’immigration. Ils sont, enfin, très demandeurs d’une régulation forte des plateformes numériques, dont les risques pour les libertés individuelles et collectives sont de plus en plus perçus comme graves.

Tout ceci interpelle : faut-il se réjouir que l’Europe ne progresse que par peur ? Il est loin le rêve de Stefán Zweig… En tous cas, tout ceci explique que même les mouvements souverainistes qui hier encore, en France comme en Italie, vouaient les institutions européennes aux gémonies font semblant de s’en accommoder. Bien sûr, il ne faut pas s’y fier. Un parlement européen composé de députés anti-européens ne saurait être une bonne nouvelle.

Mais cette étude donc est encourageante : ceux qui, hier, soutenaient l’Europe en raison des avantages que chaque nation pouvait en retirer, la soutiennent maintenant au nom d’un intérêt collectif plus large, à l’échelle géopolitique. Ils ont compris : aucun État européen ne peut affronter seul les défis de demain. Les batteurs d’estrade qui jouent la campagne des élections européennes uniquement à partir d’enjeux nationaux – quand il ne s’agit pas d’enjeux de carrière- font gravement fausse route.

Bernard Attali

Editorialiste