Une vieille histoire de robe
Alors que le sempiternel débat sur le voile revient sur le tapis, une plongée dans l’histoire permet de mesurer les passions que les vêtements religieux ont pu déchaîner.

Charles Chabert, illustre inconnu, était jadis député radical-socialiste de la Drôme. Laïque un peu extrême, il prit l’exemple de la loi de la première séparation de l’Eglise et de l’Etat en France, celle du 4 ventôse an III, pour proposer, dans un amendement à la loi de 1905 alors en discussion, l’interdiction de l’habit ecclésiastique. Son amendement demandait « qu’en dehors des fonctions cultuelles, les prêtres s’habillent comme tout le monde ». Point de soutane hors des églises !
Ses arguments ? Il faudrait éviter que la vue d’une soutane n’excite les passions des citoyens, naturellement prompts au conflit, et donc ne troublent le saint ordre public. Et d’ajouter, possédé par l’esprit séculier, qu’il fallait libérer le prêtre de la soumission dans lequel le place son vêtement ! Tout rapport avec des faits récents, etc. Évidemment, il se défend de tout autoritarisme : « Ce n’est pas, je le répète, en tyran que je parle, mais en homme soucieux de la liberté et de la dignité humaines », et de supplier presque : « ôtez la robe ! ».
Face à l’exaltation, l’ironie est la meilleure arme. Un député le coupe : « en effet, à l’époque où nous sommes, c’est d’une importance capitale ! » Un autre : « continuez, cela nous amuse ; c’est un intermède très plaisant ». Un troisième : « que faites-vous de la tonsure, monsieur Chabert ? ».
Aristide Briand siffle la fin de la récréation. Le rapporteur craint un « reproche d’intolérance » et souhaite que la soutane devienne « un vêtement comme un autre ». Même si l’amendement Chabert était adopté, ajoute-t-il, « l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau ». Mieux vaut donc éviter le ridicule et laisser leur soutane aux prêtres : l’interprétation libérale triomphe. L’amendement est rejeté massivement par 381 voix contre 194. Comme le serait un amendement d’aujourd’hui interdisant le voile dans la rue ? Chabert est tombé dans l’oubli et cent vingt ans plus tard, seul le rire de ses collègues devrait trouver en nous un écho favorable.