Venezuela : l’or de Wagner

publié le 29/10/2023

Les touristes russes affluent, les mercenaires aussi. Et ils pillent le minerai du pays, en dévastant des zones naturelles, avec la complicité du gouvernement du président. Par Marion Molinari

Un mineur vénézuélien marche dans une rue après sa journée de travail dans une mine à la recherche d'or pour le vendre plus tard à El Callao, État de Bolivar, Venezuela, le 31 août 2023 - Photo Magda Gibelli / AFP

Dans une rue de Caracas, la capitale, huit véhicules paramilitaires aux vitres teintées et sans plaque d’immatriculation font irruption dans une rue résidentielle de la Castellana. Trois hommes armés en sortent, ils pénètrent dans une villa. Quelques secondes plus tard, ils réapparaissent, escortant un quatrième individu. Le convoi parfaitement synchronisé démarre en sens interdit et disparaît vers l’autoroute. Un résident de ce quartier huppé témoigne « cette scène est très commune dans le Venezuela d’aujourd’hui, une manière directe de dire :  laissez-nous passer, nous sommes armés jusqu’aux dents. »

Ce mode de déplacement typique des “enchufados” (protégés) du gouvernement trahissait pendant un temps la présence de narcotrafiquants colombiens. Aujourd’hui, ce sont surtout des Russes qui sont ici pour affaires. En 2019, alors que l’autorité du président Nicolas Maduro se fragilise, la Russie témoigne son soutien au chef d’État vénézuélien. Un service de protection rapprochée assuré par le groupe Wagner est mis en place. Dans les mois qui suivent, la présence du groupe paramilitaire s’enracine et s’étend jusqu’aux terres reculées amazoniennes, riches en minerai. 

Selon l’ONU, la crise humanitaire en cours au Venezuela a entraîné l’exode de près de 8 millions de personnes. La vétusté des infrastructures pétrolières, conjuguée aux sanctions étasuniennes, a progressivement tari les revenus de l’or noir. C’est dans ce contexte que Nicolas Maduro a inauguré en 2016 le titanesque projet de l’Arc Minier, qu’il promeut comme une alternative économique à l’exploitation du pétrole.

L’armée bolivarienne et les milices armées se partagent le territoire. Si le gouvernement gesticule par quelques actions “coups de poing” destinées à lutter contre l’exploitation aurifère illégale, la corruption règne et l’activité s’accroit, souvent avec la complicité de ce même gouvernement à qui un pourcentage des gains est reversé. 

Depuis l’invasion de l’Ukraine, des vols directs en provenance de Moscou abreuvent le Venezuela d’un flot continu de touristes russes mis au ban des stations balnéaires occidentales. Un complexe hôtelier luxueux tout juste construit permet de les accueillir depuis peu à Canaima. Véritable joyau naturel du Vénézuéla, le parc national de Canaima – inscrit au patrimoine de l’UNESCO depuis 1994 – abrite des écosystèmes uniques. On y trouve les majestueux Tépuys, ces montagnes aux pentes extrêmement abruptes, nombre d’espèces naturelles endémiques, mais aussi le Salto Angel, plus haute chute d’eau du globe.  

Rapidement, les Pémons – peuple autochtone de Canaima – font état de la présence de militaires russes vêtus d’uniformes des forces armées bolivariennes transitant par le petit aéroport. Sous prétexte de tourisme, la piste a récemment été agrandie pour accueillir des avions de ligne. Certains Pémons employés comme guides s’alarment de l’intérêt porté à la géologie du parc par des individus qui n’ont rien des vacanciers ordinaires. 

Exploitation catastrophique. Pour séparer l’or de la terre, l’emploi du mercure s’est largement banalisé ces dernières années au Venezuela et se propage dans les rivières entraînant une contamination environnementale inédite. Sans avoir rien changé à leur mode de vie ancestral, les Pémons présentent aujourd’hui un taux de mercure dans le sang supérieur… de 35 % à la limite fixée par l’OMS.

La simple mention de Wagner ou de militaires russes entraîne immédiatement peur et silence de la part des locaux, victimes de tentatives d’intimidations violentes. L’isolement technologique et géographique de Canaima offre les conditions idéales à l’opacité du pillage en cours dans la zone. Après avoir pu constater l’ampleur du développement de l’extraction aurifère grâce à l’imagerie satellite, l’organisme de surveillance indépendant Sos Orinoco a déposé une demande auprès de l’UNESCO pour que le site soit reconnu menacé. Une moindre mesure lorsqu’on connaît la dangerosité des acteurs à l’œuvre.