Verbatim Forum Compte Carbone

publié le 31/05/2023

Le Journal a organisé un débat sur le compte carbone. Valérie Cohen, Armel Prieur et Hervé Cellard, de l’Institut Compte Carbone, ont répondu aux lecteurs

Mobilité (Photo by Jean-Luc Flémal / BELGA MAG

Valérie Cohen rappelle en préambule que cette idée vise à accélérer le changement de modes d’achat et donc de modes de vie des consommateurs pour contenir le réchauffement climatique à moins de 2°C d’ici 2100. Rappelons que la terre peut absorber 10GigaT de CO2 par an, alors que nous en émettons 5 fois plus. A la différence des quotas carbone industriels, le Compte Carbone est un quota carbone individuel, une sorte de budget carbone, qui obligerait chaque consommateur à comptabiliser ses achats en valeur carbone et en euros.

Q/ René Saget : « Concrètement comment calculer ce budget carbone ? »

Réponse : « La population française ayant émis directement ou indirectement 610 millions de tonnes d’équivalent Carbone en 2019, le budget carbone de chaque citoyen est établi en année N à 9Téq.CO2. Il sera réduit de 6% chaque année pour atteindre une réduction globale de l’ordre de 80% en 30 ans. Toute personne est concernée sans considération d’âge ou de situation ».

Quid des familles ? « A l’échelle d’un foyer, les quotas individuels seront mutualisés : un foyer de deux personnes aura 18TéqCO2 par an. Un enfant disposera du même budget qu’un adulte ».

Q/ René : « qui établit le coût carbone des produits que j’achète ? »

Q/ Alba Mari ( 13 ans) : « comment fait-on pour mesurer le carbone des produits ? »

Q/ Bruno Meunier : « quel sera le rôle des entreprises ? des différences peuvent-elles être envisagées en fonction des secteurs d’activité ? »

Q/ Delphine : « ce système sera-t-il généralisé et obligatoire ? Pourra-t-on acheter un produit sans points carbone ? »

Réponse : « Avec la mise en place du compte carbone, les fournisseurs de produits et services ne pourront vendre leur produit qu’à des consommateurs solvables (qui disposent encore de points carbone).

Nous savons aujourd’hui calculer le bilan carbone d’un produit et même d’un service. L’enjeu est la généralisation de ce calcul. Les entreprises auront la responsabilité d’établir un registre carbone et d’avoir une double comptabilité : comptabilité monétaire et comptabilité carbone.

Tous les produits et services vendus auront un double étiquetage : un prix en euros et un prix carbone. L’étiquetage doit être généralisé sur tout le cycle de vie d’un produit. C’est possible mais très ambitieux. Car les méthodes de calcul ne sont pas encore complètement universelles et cela suppose d’intégrer des coûts indirects extraterritoriaux.

Seules la généralisation et l’obligation permettront d’engager ce chantier titanesque. Par exemple, pour fixer le coût carbone d’un dessert, le restaurateur doit connaître la valeur carbone de chaque ingrédient utilisé dans la recette.

Quand le restaurateur réalisera que la farine venue d’Ukraine est plus chère en carbone qu’une farine locale, il changera rapidement de mode d’approvisionnement pour pouvoir maîtriser son coût carbone et rendre son produit attractif pour ses clients. »

Q/ Agnès Touraine : “Avez-vous envisagé un système incitatif ?”

Réponse : « Il est effectivement recommandé par Jean Tirole et Christian Gollier qui assument une vision libérale du marché carbone, mais la simple incitation a déjà été expérimentée et a montré son inefficacité, notamment en Suède qui voit son empreinte augmenter malgré la mise en œuvre de taxe carbone depuis 1991.

Le compte carbone veut ne pas être coercitif dans la mesure où il laisse la liberté à chacun de ses choix de consommation et d’arbitrage. Par ailleurs, certains biens resteront acquérables indépendamment du compte carbone, l’acquisition d’un logement par exemple qui nécessite généralement le recours à un prêt »

Q/ René : « Qui tient mon compte à jour ? Qui serait chargé d’attribuer ce budget Carbone et d’en suivre la dépense ?

Réponse : une agence indépendante de l’Etat et de tout opérateur économique administrée dans le cadre d’une gestion paritaire incluant l’État, les citoyens, les entreprises, les syndicats et ordres professionnels, les ONG spécialisées.

Elle comptabilisera la dépense en carbone selon les règles de la Comptabilité Nationale, et déléguera aux Organismes Tiers Indépendants (experts-comptables, commissaires aux comptes ou agences agréées) le soin de vérifier l’exécution des budgets carbone des entreprises.

En complément, des ajustoirs (ou agences locales)z seront établis dans chaque région.

Q/ Delphine : «les points carbone pourront-ils être revendus ou capitalisés à titre individuel pour un usage ultérieur ? »

Réponse : « Une fois par an, l’Agence remet à 0 les comptes carbone individuels. Si un budget individuel n’est pas complètement dépensé à la date anniversaire, l’excédent est enregistré et mutualisé par l’Agence.  Les consommateurs ne pourront ni épargner, ni capitaliser, ni vendre à un tiers leurs points carbone.

En revanche, quand un consommateur manque de points carbone au cours de l’année, il pourra éventuellement en acheter auprès de l’Agence qui disposera de ce crédit de points carbone non dépensés, actualisé en fonction du niveau d’émissions globales de la France.

Delphine : « si l’Agence peut revendre des points carbone, qui fixera la valeur du point ? »

Réponse : « La valeur du point carbone sera fixée selon le principe de l’offre et de la demande. A ce stade, nous n’avons pas encore établi de règle précise. Certains pensent qu’il faut établir un prix minimal de base, d’autres que les points carbone en circulation étant contraints, la valeur du point sera mécaniquement établie par le simple effet de la rareté.

Cela dit, le fonctionnement doit être organisé pour ne pas laisser faire la main invisible du marché :

1-Interdiction de spéculation par le fait que la dotation de points carbone est remise à zéro à chaque nouvelle année par dotation nouvelle de la valeur de la nouvelle année (à 94% donc)

2-Interdiction de vente de la main à la main car l’agence carbone ne reconnaît pas les surplus de crédit carbone qui ne soient pas autorisés (soit ajustoirs régionaux ou agence carbone elle-même)

3-Pas de valeur du point carbone pour les entreprises qui doivent tenir un registre carbone où les points n’ont pas d’équivalence monétaire (la valeur de point carbone ne sert qu’à l’achat de surplus par les déficitaires ou la vente d’excédents par les excédentaires auprès de l’ajustoir autorisé).  

4-Volume carbone global en réduction permanente à l’inverse des marchés connus. »

Q/ Alba (13 ans) : « les riches auront-ils un compte carbone plus élevé que les plus pauvres ?»


Q/ Bruno Meunier : « le bilan carbone sera-t-il établi en fonction de la richesse ? Prévoyez-vous une différence entre les gens des villes et les gens des campagnes ? »

Q/ Pierre Lalu : « Faut-il des mesures différenciées ciblant les classes sociales supérieures ? Comment être sûr que les plus riches n’auront pas la possibilité d’éviter ce système ? »

Réponse : « Aujourd’hui, nous savons que les 10% des plus fortunés émettent chaque année 25TéqCO2 par personne, 68% des Français étant actuellement en dessous du budget des 9Téq.CO2 et une personne au SMIC émettant moins de 6Téq.CO2. La mise en place du Compte carbone (le même pour tous) peut être complété par des mécanismes solidaires pour compenser les inégalités. Nous proposons une grande consultation nationale pour définir les règles et les mesures d’accompagnement ».

Pour approfondir le débat, Armel Prieur précise que “le compte carbone découle d’une critique de la doxa économique qui ne conçoit que deux catégories de biens, privés et publics alors qu’il y en a quatre comme exposé par Pierre Calame en 2009 dans son « Essai sur l’oeconomie » (ECLM 2009). Ces catégories sont définies à partir du « test du partage ».

Du fait de la limitation nécessaire des émissions de GES, l’énergie fossile relève des « biens de catégorie 2 », qui se divisent en se partageant mais sont en quantité finie. Les régimes de gouvernance applicables à ce type de bien ne relèvent pas du marché mais d’une double logique d’efficacité et de justice sociale, telle que pratiquée dans l’économie sociale et solidaire. 

Progressivement, des personnalités très diverses se sont ralliées à cette théorie, comme David van Reybrouck, auteur du livre Nous colonisons l’avenir, publié en 2023 chez Actes-Sud,  ou Martin Hirsch, qui publie Les Solastalgiques, chez Stock ».

Lors du débat par l’Institut Compte Carbone, de très nombreuses questions supplémentaires ont été soulevées : les réponses à ces questions se trouvent sur le site de l’Institut https://wwwcomptecarbone.cc et sur celui consacré au projet d’Agence, https://www.agencecarbone.fr/objections