Vérité et mensonge (2003)

publié le 24/07/2024

La nuit du 5 septembre 1972, l’équipe israélienne est prise en otage par des membres de l’organisation terroriste palestinienne Septembre Noir. Bilan : douze morts. Simple spectateur à l’époque, Benoît Heimermann a été marqué par cette tragédie.

Été 1972 : tandis que Munich, capitale de la Bavière et vitrine de la florissante RFA, se pare des couleurs olympiques, l’Allemagne tente de solder la mémoire des Jeux de 1936. Mais l’Histoire s’acharne. La nuit du 5 septembre 1972, l’équipe israélienne est prise en otage par des membres de l’organisation terroriste palestinienne Septembre Noir. Bilan : douze morts.
Simple spectateur à l’époque, Benoît Heimermann a été marqué par cette tragédie. Quarante-quatre ans plus tard, il se souvient.

À l’origine, Kevin McDonald voulait m’entretenir d’alpinisme. Et plus précisément de La Mort suspendue, le docu-fiction qu’il venait de consacrer aux mésaventures andines de Joe Simpson et Simon Yates. J’avoue ne plus me souvenir pourquoi la conversation a bifurqué, mais ce dont je suis certain, c’est que c’est lui qui commanda le changement d’aiguillage. Dès lors, il ne fut plus question que de Munich et de One Day in September [Un jour en septembre], son documentaire précédent, couronné en 2000 par l’académie des Oscars.

Même vingt-huit ans après les faits, ce travail millimétré m’avait impressionné comme m’avait ému La Médaille de sang. Preuve qu’au-delà de l’émotion spontanée, le recul peut se révéler un parfait allié de la vérité. Avant de localiser et interroger Jamal Al-Gashey, le seul membre du commando palestinien encore vivant, McDonald dû patienter une éternité. Une éternité aussi pour dérusher des kilomètres de bandes d’actualité qui, confrontées les unes aux autres, accentuaient encore la soudaineté du coup porté, l’inattendu de la situation, l’effroi qui s’en suivit et plus encore peut être cette incroyable désinvolture qui sembla habiter les autorités allemandes d’une part, les instances sportives d’autre part.

Cruels détails, resurgissaient du passé ces échanges surréalistes entre Walter Tröger, maire du village, et Manfred Schreiber, chef de la police munichoise. Les gesticulations d’Issa, le vibrionnant leader du commando, sa tête chapeautée de blanc, son visage passé au noir de fumée. Les allées et venues, les tergiversations, les ultimatums successifs. Les photographes en faction, la foule déboussolée – j’en étais – et, plus déconcertants encore, ces trente-huit policiers déguisés en sportifs, recrutés à la sauvette, prenant position sous l’œil des caméras et donc – on l’apprendra par la suite – au vu et au su des terroristes eux-mêmes, installés devant leurs postes de télévision !

« Une nuit de sang et de mensonge »

L’impéritie des responsables allemands pour tout dire dont l’amateurisme m’était déjà apparu dans le livre de Groussard, mais que le film de McDonald démontrait jusqu’à la caricature. Ce que son documentaire dévoilait encore, et de manière tout aussi renversante, c’était l’abyssal manque de discernement du monde sportif proprement dit.

Certes, la décision de stopper les Jeux ne faisait pas l’unanimité, mais de là à bricoler une trêve au rabais, à abandonner dans la nature des compétiteurs souvent tenus dans l’ignorance, à accélérer le retour à la norme, il existait sans doute d’autres alternatives plus conformes et plus dignes. En vérité, et contrairement à tout ce qui a été dit et écrit, les Jeux de Munich n’ont vraiment été suspendus qu’une vingtaine d’heures et encore ! Le 5, alors que les courageux Moshé Weinberg et Yossef Romano baignaient dans leur sang dans l’appartement n°3, plusieurs compétitions de football, toutes les épreuves de canoë-kayak ou les demi-finales de l’épée se sont déroulées comme si de rien n’était.

À 18h45, avant que terroristes, survivants et négociateurs ne s’enfoncent dans « une nuit de sang et de mensonge » (Jean Lacouture), la Pologne rencontrait encore l’URSS dans la salle de volley située à moins de 150 mètres du drame. Le lendemain, passée la cérémonie à laquelle une demi-douzaine de pays de l’Est et dix Pays arabes refusèrent de prendre part, les épreuves reprirent dès le début de l’après-midi. Sans attention ni introduction particulière.

Mais où était passée l’autorité olympique ? L’esprit de compassion et de solidarité ? Comme un fait aggravant, le nouveau et l’ex-président du CIO, le conciliant Lord Killanin et l’intransigeant Avery Brundage, jouèrent à cache-cache 48 heures durant. Le premier, bloqué à Keil, sur les bords de la Baltique où il assistait aux compétitions nautiques, laissant au second la responsabilité d’un discours dépouillé de tout sentiment. Au cours duquel il martela son comminatoire “The Olympics games must go on”, mais où il osa, en prime, dresser un insupportable parallèle entre les militants noirs et les terroristes palestiniens, à ses yeux pareillement coupables de porter atteinte à l’intégrité de l’Afrique du Sud et de l’État d’Israël !

Et les athlètes ? Là encore, les soutiens spontanés furent rares. Quelques compétiteurs norvégiens, un coureur allemand de second plan, une partie de l’équipe néerlandaise : c’est sur les doigts des deux mains que l’on compta les champions scandalisés au point de plier bagage. En fin d’échange, Kevin McDonald affichait une certaine incompréhension, pour ne pas parler de déception : « Le monde du sport a certes été pris par surprise. Mais  il s’est aussi empressé de nier toutes relations de cause à effet, de retourner à ses petites affaires, sans s’appesantir, sans s’apitoyer… »


Toute la série :
1. Le temps de l’innocence (1972)
2. Un témoin capital (1973)

3. Survivant malgré tout (1991)
4. Vérité et mensonge (2003)
5. Marathon man (2005)

6. Retour aux sources (2016)