Les villes d’Afrique sont des « bombes sociales » à retardement
L’Afrique connait aujourd’hui une croissance urbaine considérable : autant d’explosions potentielles ?
Vue d’ici, l’Afrique apparait souvent comme rurale et peu peuplée, 33 habitants au km2. Soit trois moins que l’Europe (114 h/km2) et même que la France (106 h/km2). Pourtant la population urbaine du continent ne cesse de croître, au rythme impressionnant d’un doublement tous les vingt ans, pour dépasser aujourd’hui les 600 millions d’habitants.
L’exode rural a commencé avec les indépendances pour s’amplifier jusque dans les années 1990. La différence avec l’Europe de l’Ouest vient de ce que ces villes qui attirent les migrants n’ont pas connu de révolution industrielle. Elles n’ont pas l’attractivité de leurs emplois, puisque pour l’essentiel elles accueillent majoritairement des activités informelles. Pour autant, ces migrants, y vivent plus vieux, même dans les bidonvilles, échappent aux famines rurales, disposent plus facilement d’eau et d’électricité et se débrouillent avec les emplois informels. Comme si, à la misère noire des campagnes, succédait la misère grise de l’économie urbaine !
Aujourd’hui, vingt villes dépassent les 4 millions d’habitants dont des monstres comme Le Caire (25 millions) ou Lagos (23 millions), et près d’une centaine dépassent le million, soit presque autant qu’en Europe, pourtant plus densément peuplée. Et les prévisions pour l’Afrique évoquent le chiffre de 1,5 milliard d’habitants en 2050.
La plus grande difficulté est d’aménager ces villes et de les administrer de façon organisée, tant les municipalités semblent dépourvues des moyens nécessaires.
Ici, peu de réseaux d’eau courante, des réseaux électriques souvent défaillants, pas d’assainissement, des voiries sans asphalte ni entretien, des ordures ménagères aléatoirement ramassées ; là, la thrombose permanente d’une circulation sans règles apparentes ni réelle sécurité. Bref, des villes aussi informelles que leurs économies, mais dont la taille est désormais si importante que l’on voit mal par quel coup de baguette magique elles pourraient maîtriser leur évolution.
D’où la tentation, dans de nombreux pays, de recourir à des solutions radicales : les villes nouvelles. Solutions radicales, car elles reviennent à renoncer à l’aménagement ou au réaménagement d’une grande ville, en tentant de la désengorger de certaines activités réimplantées ailleurs, en un lieu nouveau.. Ainsi de Diamniadio au sud de Dakar au Sénégal. Mais cela suppose que, d’une part, cette stratégie soit programmée et financée correctement et que, d’autre part, ladite grande ville ne continue pas néanmoins à grossir en amplifiant les problèmes de gestion. Ce qui manque encore pour Dakar.
Cet accroissement sans limites des villes constitue un problème majeur pour tous les gouvernements du continent, tant il contient de « bombes sociales » potentielles dans un contexte où l’économie informelle l’emporte encore largement. Sans un réel aménagement, les villes africaines ne peuvent apporter qu’un répit provisoire à la grande misère issue de la ruralité. Sans cela, on voit mal comment elles pourraient échapper à d’autres explosions !