Viol : la première victoire de Gisèle Pélicot
Des députés de tous bords s’apprêtent à introduire le consentement dans la définition pénale du viol. La proposition de loi arrive dans l’hémicycle le 1er avril. Avec le feu vert du Conseil d’Etat mais sans l’unanimité des féministes.

« Enfin ! », s’exclament toutes celles qui militent depuis des années pour que la France s’aligne sur les injonctions européennes, et sur l’exemple d’une quinzaine de pays, en introduisant le mot « consentement » dans l’article du code pénal qui définit le viol. Ou plutôt le « non-consentement », puisqu’il s’agit d’affirmer que, quelle que soit la technique employée par l’agresseur – violence, contrainte, menace ou surprise – un viol est une pénétration sexuelle sans le consentement de la victime.
Cela peut paraître évident, aller de soi, mais ce n’est pas écrit noir sur blanc dans la loi. Ce qui, pour beaucoup de féministes, limite les marges de manoeuvre pour condamner les violeurs. Ceux-ci abusent souvent de leur situation de domination psychologique ou sociale pour s’imposer à des victimes vulnérables, saisies par un effet de sidération, incapables de s’opposer à un acte qu’elles ne veulent pas. « Céder n’est pas consentir ! », plaide Isabelle Rome, magistrate, ex-ministre à l’Égalité, aujourd’hui ambassadrice aux droits de l’Homme.
Cette praticienne de la justice, qui a présidé de nombreuses cours d’assises pour juger de viols, est favorable à l’introduction de la notion de consentement dans le Code pénal. Elle raconte comment béaucoup d’agresseurs échappent à une condamnation à cause d’une définition trop restrictive du viol. De fait, en France, on déplore un taux de sanction très faible dans les affaires de viols : moins de 1% des violeurs sont condamnés, car 90% des victimes ne portent pas plainte, puis 80% des plaintes sont classées ou débouchent sur un non-lieu.
C’est pour lutter contre ce déni de justice qu’une proposition de loi (PPL) a été élaborée par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Ses co-autrices, Véronique Riotton (la présidente EPR de la Délégation) et Charlotte Garin, écologiste, après de longs mois d’auditons et de consultation, ont mis au point une nouvelle définition du viol, qui préserve les quatre mots clefs existants – violence, contrainte, menace ou surprise – mais intègre la notion de consentement dans la définition pénale du viol, en précisant notamment : « Le consentement ne peut être déduit de la simple absence de résistance de la victime ».
Le texte de la PPL a été transmis au Conseil d’Etat pour avis. Il a reçu un nihil obstat des juristes, qui se sont bornés à suggérer des modifications de rédaction de détail. L’intention a été approuvée. « Cet avis est très positif », se réjouit Véronique Riotton. Et pourtant, des oppositions farouches à ces nouvelles dispositions se manifestent contre l’introduction du consentement. Des féministes craignent qu’avec cet ajout les enquêtes se centrent uniquement sur les victimes pour qu’elles prouvent ne pas avoir été consentantes. Alors que l’idée de la PPL, disent ses promoteurs, est au contraire de vouloir faire peser sur l’agresseur le questionnement : comment s’est-il assuré du consentement de la victime ?
Jusqu’au bout les débats opposeront les deux visions. Inscrite à l’ordre du jour par Yaël Braun-Pivet dans une semaine dite « transpartisane » le 1er avril, la PPL a reçu le soutien de nombreux parlementaires de droite comme de gauche. Le chef de l’Etat s’est rallié à l’idée il y a un an, le gouvernement est également sur cette ligne. En dehors de certaines féministes minoritaires, les personnes hostiles au nouveau texte se trouvent essentiellement chez les avocats de la défense, comme l’avait été Éric Dupont-Moretti, un garde des Sceaux qui avait gardé les réflexes de son ancienne profession. Signe que le texte est bien favorable aux femmes…
Il ne suffira pas, à lui seul, à réduire le nombre de viols. Des moyens et des directives claires doivent aussi être données à la justice pour combattre ce fléau efficacement. Mais cette PPL est une première contribution à la demande de Gisèle Pélicot : « Il est grand temps que la société machiste et patriarcale change le regard sur le viol ». Cela commence par la loi. Un petit pas sera peut-être franchi la semaine prochaine au Palais-Bourbon. Dans ce domaine, toute avancée, si symbolique ou modeste soit-elle, est bonne à prendre.