Violences : entendez Gisèle Pélicot !

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 22/11/2024

Sur les questions de société, les événements bouleversants font souvent avancer les gouvernements. L’appel de Gisèle Pélicot sera-t-il entendu ?

Gisèle Pelicot au palais de justice d'Avignon, le 20 novembre 2024, lors du procès de son ex-mari Dominique Pelicot accusé de l'avoir droguée pendant près de dix ans et d'avoir invité des inconnus à la violer. (Photo de Christophe SIMON / AFP)

On se rappelle comment, à la force de son talent et son courage, Gisèle Halimi, en 1978, avait défié la justice et changé le regard de la société sur le viol. Deux ans plus tard une loi modifiait la définition de ce crime, étendant son champ d’application. Plus près de nous, le mouvement #MeToo provoqua une secousse mondiale et, là aussi deux ans plus tard en France, en 2019, un Grenelle des violences se saisit pour la première fois sérieusement des horreurs que pouvaient commettre les hommes dans le cadre conjugal. Après les longues semaines du procès des viols de Mazan, et la prise de conscience d’une certaine banalité du mal, verra-t-on de nouvelles dispositions prises pour en finir avec l’enfer vécu par tant de femmes ?

Les chiffres publiés récemment poursuivent leur sinistre litanie : 122 féminicides depuis le début de l’année, selon l’association Nous Toutes, après une année 2023 marquée par des statistiques accablantes. La MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes) a dénombré 230 mille femmes ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles. Aux 93 féminicides par conjoint, il faut ajouter 319 tentatives, et 773 faits de harcèlement ayant conduit à un suicide « forcé » ou à une tentative (notion entrée dans le code pénal depuis 2020). Au total, affirme la très officielle Miprof, 1185 victimes de violences, soit trois femmes par jour. Et encore, il ne s’agit que de cas constatés dans le cadre conjugal.

L’émotion qu’a suscitée Gisèle Pélicot, son appel pour que son calvaire serve à quelque chose, la soudaine compréhension par un certain nombre de responsables de l’ampleur du mal à combattre, les chiffres qui tombent comme autant de gifles, tout cela devrait conduire le pouvoir à redoubler d’effort. Certes il y a eu le Grenelle, mais les moyens alloués sont insuffisants. Et il faut compter l’ensemble des violences sexuelles, pas seulement celles commises au sein du couple. La Fondation des Femmes a chiffré les montants nécessaires, 2,6 milliards pour mener une action efficace. Et les quelque 400 organisations féministes qui défilent ce 23 novembre, deux jours avant la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, réclament une « loi cadre intégrale ».

Pour l’instant, par ces temps de vaches maigres, il n’y a pas eu de réponse positive. La secrétaire d’Etat à l’Égalité, Salima Saa, a tout de même promis des annonces pour le 25 novembre, sur la soumission chimique, en particulier. Elle a aussi dit son accord pour l’introduction de la notion de consentement dans le code pénal. Le Garde des Sceaux y travaille. De son côté, la ministre de l’Éducation a donné le feu vert à la mise en place – enfin ! – des trois heures annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école, au collège et au lycée. C’est un pas en avant important, déjà critiqué par les plus conservateurs, mais qui peut s’avérer salutaire à l’heure où les jeunes se forment, ou plutôt se déforment, sur ces sujets en regardant du porno violent et macho. On attend toujours, en revanche, le décret d’application qui doit permettre au ministère de l’Intérieur d’éliminer les scènes de torture des vidéos pornographiques comme la loi l’y autorise désormais. Un peu d’ordre, M. Retailleau !

Sous prétexte que Kamala Harris aurait découragé les électeurs masculins en incarnant trop le combat féminin, les responsables politiques vont-ils se démobiliser sur la question de l’égalité ? C’est dans les moments de crise, disait Simone de Beauvoir, que les droits des femmes reculent. Il est temps… de lui donner tort.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse