Vive la Pologne, monsieur !

par Denis McShane |  publié le 22/10/2023

En mettant un coup d’arrêt à la montée du nationalisme illibéral, le vote des Polonais marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Union européenne. Par Denis McShane *

Dennis McShane- Photo AFP

En 1920, la Pologne a sauvé l’Europe de l’invasion de l’Armée rouge de Lénine. Le leader bolchevique avait lancé ses hommes à l’assaut des nations situées à l’ouest de la Russie, qu’il estimait mûres pour la révolution, aidés par les baïonnettes et les mitrailleuses russes. Une armée polonaise constituée à la hâte a été mise sur pied et, grâce à de brillants généraux, a vaincu les soldats bolcheviques lors de la bataille de la Vistule, le fleuve qui traverse Varsovie. 

Aujourd’hui, 103 ans plus tard, la Pologne a peut-être sauvé l’Europe de la désintégration. Elle lui a évité, en tout cas, de se muer en un ensemble de régimes nationalistes, dirigés par des partis opposés aux valeurs européennes, aux obligations de l’UE et à l’état de droit, hostiles à l’indépendance de la justice, à la liberté de la presse et, dans certains cas, aux droits des femmes, avec un net relent d’antisémitisme.

Il y a quelques mois à peine, certains commentateurs suggéraient que le PiS (Parti Droit et Justice), le parti polonais de la droite dure, contrôlait la Pologne aussi fortement que le Fidesz, le parti illibéral de Viktor Orban, tenait la Hongrie. Dimanche 15 octobre, dans toute la Pologne, des millions d’électeurs ont patiemment fait la queue pour voter contre le PIS et remplacer le gouvernement de droite par trois partis : un parti libéral de centre droit, un parti social-démocrate et un parti libéral hétérogène appelé « Troisième voie ».

Cette révolution politique a trois conséquences.

Tout d’abord, la Pologne, cinquième économie de l’UE, dont la croissance est la plus rapide et qui est désormais un acteur militaire sérieux, peut rejoindre le courant principal des nations européennes, comme l’Allemagne, la France, l’Espagne, en tant que participant de bonne foi à la formulation de la politique de l’UE.

Deuxièmement, la défaite du PiS met encore plus en lumière l’isolement des conservateurs anglais lors du Brexit. Le premier Brexit, en 2009, était politique, lorsque David Cameron a sorti le Parti conservateur du Parti populaire européen, la fédération de centre droit des partis de l’UE. David Cameron espérait ainsi calmer l’hostilité religieuse des europhobes conservateurs. Ses collègues de centre droit en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et dans d’autres pays de l’UE ont été choqués par cette décision.

Ils ont commencé à comprendre qu’une fièvre anti-européenne totale avait contaminé les conservateurs. Les députés conservateurs se sont soudain retrouvés sans toit, après avoir rejeté leurs plus proches alliés politiques. Cameron s’est associé au groupe parlementaire qui comprenait le PiS et d’autres partis d’extrême droite. Aujourd’hui, la défaite de leur allié pro-Brexit en Pologne isole encore plus les Tories.

Troisièmement, l’idée dominante dans les discussions académiques sur l’Europe, en particulier dans les cercles anglophones de Grande-Bretagne et d’Amérique, est que l’Europe est en train d’être conquise par la droite. Et s’ils se trompaient ? Au début de l’année, les socialistes espagnols ont résisté à la victoire annoncée de la droite dure.

L’Allemagne a un chancelier social-démocrate et un ministre des Affaires étrangères vert. La France est gouvernée par un Premier ministre libéral. Des responsables de la droite dure, comme Marine Le Pen ou Georgia Meloni, ont abandonné leur hostilité à l’égard de l’UE pour obtenir ou garder le pouvoir.

Les partis de la droite extrême vont et viennent, entrent et sortent de la mosaïque des gouvernements de coalition. Cela semble être la nouvelle norme de la politique européenne, après la période stable de politique centriste monolithique qui a existé entre 1950 et 2010. Le PiS polonais était le porte-drapeau de cette tendance, un parti qui refusait l’indépendance judiciaire, la liberté des médias, la séparation des pouvoirs, le droit à l’avortement, et qui apportait avec lui tous les préjugés sordides d’une droite de bistrot à la langue bien pendue. Il est bientôt dans l’opposition.

Sa défaite ne signifie pas que l’Europe vire à gauche. La gauche démocratique en Europe doit encore se réinventer en tant que mouvement du 21e siècle. Mais la résistance des Polonais à la politique du PiS est une bonne nouvelle. L’année prochaine, nous verrons si un Parti travailliste renouvelé peut faire la même chose en Grande-Bretagne, pour commencer le voyage de retour vers l’Europe démocratique, après l’isolement désastreux du Brexit. Ainsi, comme l’avait crié un député français devant le tsar sous le Second Empire, mot resté célèbre :  vive la Pologne, monsieur !

*Denis MacShane est l’auteur du premier livre en anglais sur Solidarnosc, publié en 1981. Il a été arrêté et détenu à Varsovie en 1982 lorsqu’il a été surpris en train d’apporter de l’argent au syndicat polonais clandestin. Plus tard, en tant que ministre de l’Europe en Angleterre, il a représenté la Grande-Bretagne lors de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne.

Denis McShane

Correspondant à Londres